N° 1067 | Le 21 juin 2012 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Qu’est-ce qui unit et qu’est-ce qui distingue les valides des personnes handicapées ? C’est à cette question qu’Elisabeth Zucman répond avec le regard profondément humaniste qu’elle pose depuis tant d’années sur l’espèce humaine en général et sur ses membres les plus fragiles en particulier.
Ce que nous partageons ensemble, c’est d’abord le nécessaire attachement et la qualité de l’attention dont nous avons tous besoin, de la naissance à la mort. C’est, ensuite, cet ardent désir à se faire comprendre et à être pleinement reconnus en tant que personne. C’est encore cette quête universelle à apprendre, fondée sur la capacité d’évolution permanente qui caractérise l’espèce humaine : enfants et adultes atteints ou non de déficience peuvent acquérir des connaissances, tout au long de leur vie. C’est toujours cette aspiration à bénéficier d’occupations régulières, concrètes et motivantes, qu’on les nomme travail ou activité.
L’avancée en âge rapproche, pour le meilleur et pour le pire, personnes valides et personnes atteintes de handicap, l’équilibre entre le semblable et le différent s’inversant alors, progressivement. Quant à l’espérance de vie, si elle n’a cessé de progresser pour la moyenne de la population, elle a littéralement explosé dans les situations de polyhandicap, passant de trois ou quatre ans en 1960, à cinquante ans aujourd’hui.
Restent les spécificités liées au handicap et qui perdurent. En commençant par ce ressenti douloureux, quand on se construit non seulement à partir d’une enveloppe extérieure marquée par la difformité, mais aussi de l’intérieur de la prison que constitue un corps ne répondant pas à sa volonté. En continuant par le poids constant et incisif du regard des autres. Sans oublier cette aspiration à une sexualité que, trop souvent, l’infantilisation des personnes atteintes de handicap contribue à ignorer ou ce désir d’enfant propre à bien des femmes qui provoque la souffrance de ne pouvoir être mère.
Mais cette différence concerne aussi l’entourage. À l’image de ces parents qui revendiquent d’être des parents comme les autres et non des parents handicapés ou de cette fratrie se sentant parfois délaissée, quand tous les efforts et l’attention sont concentrés sur le frère ou la sœur atteint de déficience. Les nouveaux dogmes de notre modernité n’arrangent pas toujours la perception de ce qui constitue notre similitude pour l’essentiel et nos différences dans l’humaine singularité. Elisabeth Zucman s’interroge sur l’impact vulnérant pour les personnes souffrant de handicap tant de la recherche du « zéro défaut » que de la pathologisation de difficultés sociales ou encore des restrictions drastiques des ressources humaines au nom de la rentabilité.
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