N° 1306 | Le 30 novembre 2021 | Par Émilie Copin, conseillère technique au Département de Charente-Maritime | Échos du terrain (accès libre)
Assistante de service social en polyvalence de secteur pendant plus de 15 ans, j’ai observé dans ma pratique, autour de moi, des professionnels plus ou moins jeunes, plus ou moins aguerris, dans une forme d’épuisement professionnel, à la recherche de sens dans leur pratique professionnelle. J’ai eu le sentiment qu’une partie de mes pairs se fanaient au fur et à mesure de leurs années de pratique, certains victimes d’un Burn-out, d’autres choisissant une réorientation professionnelle loin du social, alors qu’à l’origine ils étaient pour certains de grands « convaincus » de leurs missions. Nombreux se sentent enfermés par le traitement de demandes chroniques d’aides financières, l’enchaînement d’évaluations d’informations préoccupantes… Les professionnels se retrouvent face à l’énoncé des multiples problématiques des personnes qu’ils accompagnent, et le constat des faibles solutions à proposer, voire leur absence est source d’épuisement professionnel. Ils ont le sentiment que la mission d’accompagnement qui leur était autrefois confiée est désormais bien loin de leur pratique quotidienne… alors, souvent, c’est l’institution qui est questionnée.
Face à la multiplication des procédures, les politiques sociales se sont segmentées, se superposant et se cumulant. L’assistant de service social en polyvalence de secteur se retrouve alors comme « coincé » dans la relation individuelle à l’usager, en lien avec ces différents dispositifs qu’il doit mobiliser. Cela peut aller jusqu’à une logique de guichet où il sollicite un à un, chacun de ces dispositifs. La pratique s’est progressivement enfermée dans une relation individuelle assez descendante, notamment du fait de la nécessité de l’expertise nécessaire. Parallèlement, les personnes en situation de précarité affirment leur volonté d’être entendues et prises en compte. En référence au principe d’individuation, les personnes, quelles qu’elles soient, souhaitent être reconnues comme individu. Ce que valide la législation qui encourage la participation des personnes concernées, allant jusqu’à un « choc de participation » annoncé dans le Plan Pauvreté de septembre 2018. Mais, à force de prôner l’autonomie, on produit un isolement et un individualisme qui se heurtent au fort besoin de fraternité qui s’est encore manifesté récemment. L’intervention collective peut répondre à cette situation. Les différentes méthodologies, qu’elles proposent, positionnent l’usager en tant que principal acteur, levier du changement, le travailleur social coconstruisant avec lui les solutions à mettre en œuvre. Dans le travail social, lorsque l’on évoque l’intervention collective, bien souvent les propos sont orientés autour du bénéfice pour la ou les personnes autour de qui est construite l’action. Les analyses, les réflexions, se concentrent sur cet acteur. Et, effectivement, ce mode d’intervenir aide à promouvoir les potentialités, le pouvoir d’agir, valorise les personnes. Au-delà, elle renforce le lien de confiance entre le professionnel et la personne accompagnée, elle peut parfois même lever des barrières dans la relation. Les personnes qui participent à ces actions, sont fières de ce qu’elles ont produit tant à titre individuel qu’au niveau du collectif. Leur estime d’elles-mêmes s’améliore par ce qu’elles ont produit. S’ensuit un cercle vertueux : valorisée par ce qu’elles ont réussi à faire, elles osent plus, tentent des actions ou prennent des initiatives.
Mais ces actions collectives ont aussi une incidence très positive chez les assistants de service social, leur permettant de changer de posture professionnelle. Cette manière d’intervenir modifie leur relation à l’usager, valorisant et dynamisant leur travail. Ce ne sont pas eux qui font, mais les personnes auprès de qui ils interviennent. Ils les accompagnent à agir. Cela peut amener des pratiques innovantes dans l’accompagnement individuel et même si le cadre législatif, qui donne des outils à l’accompagnement subsiste, il n’est plus enfermant. De la même manière que les personnes auprès de qui il intervient, l’assistant de service social est fier d’avoir accompagné le groupe dans la production de quelque chose, d’avoir lui aussi fait partie de ce collectif. Son travail est valorisé, et par conséquent lui aussi. Cela accroit son estime de soi tout autant que celui du bénéficiaire de l’action. En période de doute ou de remise en question, de quête de sens, l’effet du groupe, de ce qu’il est capable de faire, a un impact encourageant sur lui. Les effets de l’action sont plus rapidement palpables et identifiables que dans le cadre de l’accompagnement individuel. L’intervention collective, de par son cadre, autorise, invite le professionnel à être innovant, à sortir des dispositifs. Il permet la créativité dans les réponses sans limites d’imagination. Ce « possible » est déjà un premier gage qu’il peut y avoir une solution à apporter aux personnes. Bien souvent, quelque chose est produit par le groupe : une animation, un séjour de vacances… je peux citer par exemple une série de petits courts métrages tournés par des habitants visant à valoriser leur quartier, classé quartier prioritaire politique de la ville. Il ressort des rencontres de ce groupe quelque chose de concret, de palpable, bien plus valorisant à titre individuel qu’une aide financière ou un dossier de surendettement. C’est une manière de faire et d’agir qui fait sortir le professionnel de sa « routine ». Cette dynamique de création collective est stimulante tant pour le professionnel que les bénéficiaires de l’action. C’est cette énergie qui remet du sens mais aussi de l’envie dans la pratique. Le travailleur social ne se sent plus seul responsable des solutions, qu’il y en ait ou pas, des réponses posées ou apportées : en coconstruisant avec les personnes auprès de qui il intervient, il fait partie du collectif. Il n’est plus seul face à la situation des personnes, puisqu’il est accompagné par d’autres professionnels ou partenaires de son institution, mais aussi par le groupe d’usagers. Le fait d’être à plusieurs l’oblige à se poser et à réfléchir, en collectif. Ce n’est pas de lui que viennent les réponses, mais de la créativité de cet ensemble d’individualités. Le travailleur social fait émerger le savoir. Il favorise le développement du pouvoir d’agir des personnes. Cela modifie sa place, son rôle. Et dans une période de doute, de quête de sens, ce changement de place peut redonner de « l’air » à un professionnel qui en manquerait en l’amenant à regarder sous un autre angle comment il pourrait intervenir auprès du public. Une fois ces constats posés, comment aider à ne pas avoir peur de changer de place, de peut-être se mettre un peu « à nu » face à un groupe, à peut-être prendre un peu plus de « risques » ? Sortir de sa zone de confort ? Déjà peut-être les rassurer : nous les cadres en les accompagnant, en encourageant les initiatives, en les valorisant eux, leurs collègues qui pratiquent, en parlant de ce qu’ils font, en partageant leurs expériences et le bénéfice de celles-ci et en reconnaissant l’action collective comme un travail à part entière. Mais aussi en proposant des formations, des échanges de pratiques lors de réunions. Enfin en leur permettant d’essayer, mais pas seul, de tenter, de se joindre à d’autres collègues assistant de service social qui mènent déjà des actions collectives… et surtout continuer à leur dire… « OSEZ LE COLLECTIF »