N° 1266 | Le 4 février 2020 | Critiques de livres (accès libre)
Renouveler les pratiques
Livre après livre, Laurent Ott affine toujours plus son analyse de notre monde et du travail social censé en combattre les dérives. Son dernier opus est sans doute le plus abouti. Que nous explique-t-il ?
CLes dérives néo-libérales ont plongé le monde du travail, les familles, les institutions… et l’action sociale dans une instabilité et une insécurité permanentes qui ont brouillé les repères, précarisé tous les aspects de la vie et refermé toute perspective d’avenir meilleur. La conscience d’appartenir à une classe sociale capable de se mobiliser collectivement a cédé devant la vision d’une société d’individus ne pouvant plus compter que sur eux-mêmes. Le pauvre exploité a laissé la place au précaire vulnérable. Ce qu’il faudrait, ce n’est plus remettre en cause le contexte sociétal, mais doter l’exclu de la volonté qui lui manque pour s’insérer. Il doit se prendre en main pour dépasser les fragilités dont il serait totalement responsable.
Les politiques sociales entretiennent cette précarisation, en choisissant d’adapter aux effets plutôt que de s’attaquer aux causes. Le travail social devient complice quand il exhorte l’individu à contrôler par lui-même les différentes dimensions de sa vie : participation sociale, développement personnel, résilience… Les travailleurs sociaux perdent leur âme, quand ils conseillent pour ne pas perdre pied, décrocher ou échouer, de développer ses compétences, se mobiliser, s’autonomiser.
Que propose donc l’auteur, comme alternative ? Réparer la confiance en l’avenir, en les autres et en soi. Pour y parvenir, il faut sortir de l’illusion de réussir tout seul. Il est essentiel de répondre au besoin d’appartenance à quelque chose de plus grand que soi et de créer une communauté se structurant non pas d’emblée mais forgeant son identité dans la construction d’une action commune.
Les travailleurs sociaux peuvent contribuer à cette démarche, en cultivant l’inconditionnalité de l’accueil (sans condition), de la relation (sans attente d’un retour), de la reconnaissance (hors démarche de contractualisation), du don (aidant et aidé étant dans une dette mutuelle) et de la continuité tant du lien que de l’action (qui se substitue à la fragmentation des interventions). Ce qui implique de rompre avec les pratiques du passé.
Jacques Trémintin
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