N° 999 | Le 6 janvier 2011 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)
Polyhandicap, handicap sévère : activités motrices et sensorielles
François Brunet, Cédric Blanc, Anne-Catherine Margot
Quoi que l’on fasse et quoi que l’on dise, le terme de polyhandicap renvoie désormais l’image d’un être privé d’une grande capacité de sentir et d’agir ; là où le préfixe « poly » devait signifier la pluralité de l’origine des déficiences, il ne sert plus au final qu’à remarquer la gravité des symptômes. « Poly » est irrémédiablement associé à « sévère ». Dès lors, pour l’opinion publique comme pour beaucoup de professionnels du secteur médico-social, rien ne semble plus éloigné que la situation de polyhandicap et la pratique d’un sport adapté. Ce qui fait dire aux auteurs de ce magistral ouvrage que « participer à une activité physique et sportive lorsqu’on est polyhandicapé est un défi permanent ».
Cette vérité fait d’ailleurs à elle toute seule le titre du chapitre IV d’un ouvrage magistral codirigé par François Brunet (France), Cédric Blanc (Suisse) et Anne-Marie Margot (Belgique). La dimension à la fois collégiale et internationale de cette réalisation n’étant pas le moindre aspect de sa réussite. Car les 360 pages et les 250 photos ou schéma, qui viennent illustrer les expériences pratiques et innovantes menées par des professionnels aguerris, offrent à ce livre les qualités d’un manuel ; lequel, loin de discourir de façon abstraite ou universitaire sur son sujet, tire les conséquences à la fois pratiques et théoriques de dispositifs concrets mis en place au sein d’institutions ou de services, et, ce pour le plus grand bénéfice de la personne polyhandicapée. Car le lien qui relie tous les contributeurs et acteurs de ce livre est l’idée que le polyhandicap n’est pas une fatalité condamnant l’être au repli et à l’immobilité.
Les huit dernières pages consacrées au témoignage d’une mère d’un petit garçon, prénommé Séverin, né handicapé, illustre sans pathos mais avec beaucoup d’humanisme l’immense champ des possibles offert par la mobilisation combinée de la gymnastique pour les tout petits (dès 4 mois), l’approche globale de la rééducation somatique par le mouvement et le toucher, l’ostéopathie, la chiropratique (c’est-à-dire la prévention, le diagnostic et le traitement des pathologies mécaniques), la kinésiologie, les stimulations basales et autres. La grande intelligence des auteurs étant de transcender les frontières artificielles des disciplines afin de ne retenir que ce qui participe d’une amélioration de l’état physique et psychique de la personne polyhandicapée. L’intérêt de l’inventaire des méthodes possibles, qui se trouve en fin d’ouvrage, est de montrer que, s’ils le désirent, loin d’être démunis, les acteurs de l’accompagnement au quotidien de la personne polyhandicapée peuvent puiser dans un trésor de ressources.
À discourir avec François Brunet, à l’occasion de la parution de cet ouvrage, il apparaît très vite que cet amateur de Condillac, philosophe des Lumières et inspirateur de Itard, fait de l’épanouissement sensoriel le point de départ du développement des capacités motrices propre à chaque être. Au commencement de la vie psychique sont les sens et non l’esprit, rappelle François Brunet. Cette révolution épistémologique, qui peine encore à culbuter le mythe de la raison triomphante, renvoie Platon et les idéalistes à leurs études, confirme l’erreur de Descartes et, surtout, ouvre de façon magistrale à l’idée, éminemment moderne, selon laquelle « jouer avec les sens c’est développer la conscience de soi, le sentiment d’appartenance au monde qui nous environne » (préface, p.5). Le projet est donc clair : il s’agit de croire au possible en prenant appui sur le corps et sur les sens.
À partir de là, il suffit de cheminer dans l’ouvrage pour, au gré des pages, trouver les exercices appropriés, présentés dans leur environnement adapté et dans leur progression technique. Ainsi, et à l’heure où tant de professionnels redécouvrent les bienfaits du corps à corps, ils seront sans doute surpris et rassurés par l’idée que « le massage commence quand nous prenons la main… » (p.35 et suiv.), qu’il requiert de savoir prendre quelques précautions telles que « respecter les rythmes biologiques, apprendre à connaître le sujet, laisser à la personne le temps d’intégrer les sensations » (p.51 et suiv.), que le professionnel doit être en mesure de se saisir des difficultés rencontrées par la personne comme étant un éveil à la « nuance » (p.127). Car loin de tout angélisme ou de toute approche simplificatrice de la personne, l’ouvrage bien au contraire s’inscrit dans la complexité à la fois de l’être polyhandicapé et de son accompagnement au quotidien. Le livre ne vend pas de recettes mais ouvre des pistes qui pourront être saisies par tous ceux qui, las des discours sur la « juste distance », redécouvrent l’intérêt de la proximité à l’autre, arpentent à nouveau les voies d’une relation assise sur le toucher avec toute la pudeur et le respect dus à l’intimité de l’autre et font du corps à corps le support d’une relation d’aide et de soin de qualité.
Ceux-là, loin des discours fumeux sur le respect des droits de la personne, découvriront avec les auteurs de l’ouvrage comment l’épanouissement de la sensorialité et de la motricité contribue à l’avènement de la personne en une position de sujet. Alors, bien sûr, le livre peut paraître cher à l’achat ; 33 € est le prix à payer pour tout livre aussi soigné et richement illustré. De toute évidence, il n’est pas à la portée de toutes les bourses bien qu’il soit sans aucun doute un « outil » incontournable à l’exercice des métiers d’aide et de soins vis-à-vis des personnes polyhandicapées. Les artisans amoureux de leur art céderont au désir de se l’approprier. Pour les autres, il est à espérer que cet ouvrage figure en bonne place sur les rayons des bibliothèques des établissements (là où il en existe encore), traîne sur la table des salles de réunion ou du personnel.