N° 1047 | Le 26 janvier 2012 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Véritable manuel de l’intervention sociale interculturelle, l’ouvrage de Margalit Cohen-Emerique s’abreuve aux meilleures sources théoriques et pratiques. L’auteure nous propose une méthodologie solidement argumentée qui devrait devenir une véritable référence pour tout professionnel confronté à un public d’origine étrangère. C’est que les besoins en la matière sont criants, tant la formation initiale que continue restent pauvres en la matière. Les travailleurs sociaux ne sont ni formés, ni préparés, ni armés pour faire face aux populations immigrées.
L’auteure pose d’abord le socle de sa démonstration, en rappelant que la rencontre entre des personnes d’enracinement culturel différent ne peut être l’objet que de tensions et de conflits, car chacun évalue l’autre en privilégiant son propre système de valeurs. Les préjugés, les stéréotypes et les amalgames que tous les peuples développent à l’égard des ethnies voisines, sont le résultat de cette tendance spontanée à limiter l’altérité à une représentation simplificatrice, réductrice et figée. Ils imprègnent les différents modèles d’insertion existants. Il y a d’abord l’assimilation qui revendique l’identification totale à la culture dominante, avec son corollaire : l’abandon de l’héritage d’origine. Le multiculturalisme propose, quant à lui, la cohabitation des différentes communautés sur un pied d’égalité.
Mais réduire l’autre à soi en niant sa spécificité, au nom d’une universalité homogénéisante, n’est pas plus pertinent que de l’enfermer dans une distinction définitive et insurmontable en vertu du respect absolu de son identité propre. Reste la troisième voie, celle de l’intégration qui articule l’adhésion du nouvel arrivant aux valeurs de la société d’accueil et les efforts de cette dernière pour tenir compte de ses attaches antérieures. Et c’est là qu’intervient la notion d’interculturalité qui préconise de créer des espaces de dialogue et de rencontre où pourront se développer les échanges nécessaires à une meilleure compréhension mutuelle.
Et pour que cette négociation puisse se déployer, trois préalables apparaissent nécessaires : considérer l’autre comme un partenaire et non comme un irréductible barbare ; analyser les divergences avec lui comme autant de conflits de valeurs et non comme des conduites asociales ; être convaincu de la possibilité d’un rapprochement et non d’un choc de civilisations Les travailleurs sociaux possèdent déjà une expertise qui favorise l’autoréflexivité, le non-jugement et l’écoute, toutes choses susceptibles de leur permettre plus facilement cette ouverture à l’inconnu.
Pour autant, la méthode proposée par Margalit Cohen-Emerique constitue une piste de formation tout à fait fertile. Celle-ci se compose de trois étapes. La première est consacrée à une décentration devant permettre de comprendre ses propres modes de fonctionnement afin de mieux prendre de la distance à leur égard. La seconde étape consiste à aller à la rencontre des cadres de référence de l’autre, afin d’apprendre comment il fonctionne et d’identifier sa logique. Enfin, troisième étape, celle de la médiation qui tente d’établir des compromis amenant à trouver un point d’équilibre entre similitude et différence, entre égalité et diversité. Cette démarche constitue une alternative tant au relativisme culturel qu’au communautarisme.
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