N° 1019 | Le 19 mai 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Quand Romuald Avet parle du travail social, il le fait avec précision et excellence. Qu’on en juge. Les professionnels s’appuient sur une exigence imprescriptible : ne pas laisser autrui à son sort et consentir l’effort de lui rendre la possibilité d’une vie meilleure. Ils sont ces passeurs qui accompagnent les personnes en souffrance sur des chemins non balisés, avec des risques d’impasse et de zones d’ombre. Ils croisent des réalités fugaces, mouvantes, déconcertantes et ambiguës qui ne se prêtent ni à une mesure précise, ni à un calcul exact, ni à un raisonnement rigoureux. Leur pratique se garde bien de figer les représentations, mais veille à laisser du temps, afin que les remaniements puissent s’opérer.
À ce titre, elle ne peut se programmer et n’est réductible à aucune technique ou savoir-faire garanti et elle ne se plie ni à la logique de la preuve, ni au raisonnement causaliste et explicatif visant à l’objectivité. Les praticiens ne sont pas des entrepreneurs missionnés pour façonner des êtres en les rendant conformes aux normes sociales. C’est tout cela que la doxa néolibérale est en train de remettre en cause, en cherchant à imposer le règne des bonnes pratiques, des protocoles et des standards. La gestion n’est plus le moyen qui permet le soin. C’est le soin qui est en train de devenir l’outil pour améliorer la gestion. L’impératif de la performance prime de plus en plus la pensée : on mesure, on quantifie, on évalue, mais on ne s’interroge plus sur la rencontre inattendue et productrice de sens au cœur de l’acte. Le principe de l’efficacité règne en maître. La dimension subjective de l’homme disparaît derrière une conception mécanique et biologisante, le réduisant à la rationalité de ses actes. La relation d’aide laisse place à la gestion d’individus réduits à l’expression de leur handicap et identifiés à leur trouble.
Certes, Romuald Avet le reconnaît : « La parole de l’analyste arc-bouté sur sa théorie s’est parfois imposée comme un système d’interprétation ayant valeur de vérité » (p.35) devenant une orthodoxie sociale et un dogme oraculaire et hégémonique au service de cliniciens, plus avides de savoir et de pouvoir institutionnel que de volonté à déchiffrer les énigmes de leur pratique. Pourtant, à ses yeux, seule la psychanalyse est à même de s’opposer au dressage des pulsions et des comportements. Parce qu’elle place le sujet au centre du questionnement du praticien, parce qu’elle revendique une médiation humanisante, parce qu’elle refuse la commande sociale qui attend une prévention prédictive et objectivante et des résultats quantifiables. Reconnaissons que la qualité première de la clinique se situe bien dans cette approche philosophique qui propose un pacte éthique et ontologique résolument humaniste.
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