N° 830 | Le 1er mars 2007 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
S’il est bien une idée reçue chevillée au corps tant des professionnels que du citoyen moyen, c’est que non seulement l’amour filial viendrait aux parents en même temps que l’enfant, mais encore qu’il serait toujours et par essence bon et profitable. Claude Halmos interroge ces évidences avec talent et perspicacité. L’enjeu est d’importance.
Trop souvent, on se contente de maintenir ou rétablir des liens familiaux, en étant persuadé que les sentiments sont l’essentiel de la relation parents/enfants et que la famille constitue l’actrice naturelle et incontournable de cette affection qui est aussi indispensable au petit d’homme que l’air qu’il respire et que l’eau qui étanche sa soif. Ce dont a besoin un enfant ce n’est pas qu’on l’aime comme on aime sa voiture, son chien ou son travail. La qualité de la relation est déterminante. Et pour donner de l’amour à ses enfants, il faut soit en avoir reçu soi-même, soit avoir pris conscience de la carence subie et être en capacité de ne pas la reproduire. Il faut en outre agir autrement qu’on le ferait entre adultes. Pour s’aimer, deux personnes doivent éprouver des sentiments réciproques, ressentir du plaisir à être ensemble et avoir la conviction d’une possession mutuelle. Même s’il est important pour un enfant de se sentir relié à ses parents par une même appartenance, ce n’est pas là ce qu’il y a de plus fondamental.
Trois critères peuvent être identifiés comme constitutifs de l’amour parental : avoir un projet de vie pour l’enfant (l’imaginer dans l’avenir), s’acquitter à son égard d’un devoir de protection et d’éducation (qui implique une relation faite de dépendance et d’inégalité), mais aussi travailler à se rendre de moins en moins indispensable (le parent doit s’attacher tout en se détachant progressivement). Notre époque qui s’est faite le chantre de l’amour est aussi celle qui néglige le plus l’éducation. « En aimant l’enfant, c’est soi-même que l’on aime. En ne l’éduquant pas, en n’exigeant rien de lui, c’est soi-même que l’on protège des exigences » (p.87).
Or, l’éducation ne se limite pas à une simple technique d’adaptation à la vie sociale. Elle est le vecteur essentiel de la construction de l’enfant, le support fondamental de sa croissance psychique. Il est à sa naissance, guidé par l’envie de satisfaire ses désirs par n’importe quel moyen. Il est encore largement l’otage de ses pulsions. C’est l’éducation qui va l’humaniser et l’introduire à la vie aux côtés des autres. Et l’auteur de développer le concept freudien de la castration qui n’a pas pour objectif de porter atteinte au désir de l’enfant mais de lui permettre d’abandonner ses plaisirs immédiats afin d’en découvrir d’autres. Ce n’est pas là une ascèse, mais une pédagogie du plaisir. La frustration induite est le prix à payer pour grandir. C’est elle qui, permettant la sublimation, assure le développement de l’intelligence. Aimer ne suffit donc pas : il faut aussi éduquer.
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