N° 1228 | Le 1er mai 2018 | Critiques de livres (accès libre)
Une question de contrainte
Le sens commun tient pour évident que la prostitution est une réalité déplorable. Lilian Mathieu, sociologue, se charge pour sa part de passer en revue et d’évaluer des arguments censés le démontrer, mais qui se sont émoussés depuis la libéralisation des moeurs sexuelles. La prostitution devrait être bannie parce qu’elle induit une sexualité sans désir pour l’autre ? Cette affirmation revient à condamner toute recherche de relations brèves ou ponctuelles, sans engagement amoureux, prioritairement guidées par la satisfaction érotique. On peut refuser ces pratiques pour soi, sans s’arroger le droit de les disqualifier pour les autres. La prostitution devrait être condamnée car elle n’est pas consentie ? Toute adhésion est un geste de compromis où il faut démêler l’écheveau du oui et du non, de l’accord et de l’asservissement, du poids des déterminismes psychosociaux et du choix éclairé. La prostitution devrait être éradiquée parce qu’elle pousse à l’extrême l’atteinte à la dignité et la marchandisation du corps ? Il existe un continuum entre d’un côté les échanges économiques sexuels fondés sur la prostitution tarifée et, de l’autre, l’union durable éventuellement affective impliquant, outre une sexualité, la gestion du foyer de l’homme par la femme en échange de son entretien matériel. La prostitution est un fait de société complexe qui nécessite de se distancier d’avec l’essentialisation (l’identifier comme une réalité unique) et le synecdoque (prendre la partie pour le tout) : on ne peut la réduire à l’esclavage, à la soumission à un proxénète et à l’abattage. Une morale démocratique devrait pouvoir juger la sexualité d’après la façon dont les partenaires se traitent, en fonction du libre engagement de part et d’autre et surtout la présence ou l’absence de cœrcition.
Jacques Trémintin
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