N° 739 | Le 3 février 2005 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Toutes les cultures ont toujours stigmatisé le menteur qui se joue de la confiance et de la naïveté de son interlocuteur. Et pourtant, nous mentons tous, tout le temps, au rythme moyen d’une fois et demi à deux fois par jour ! Si cette pratique universelle est à ce point banalisée, c’est sans doute que la plupart des gens préfèrent ne pas savoir. C’est même là un devoir pour ne pas blesser autrui, choisir de dire la vérité pouvant avoir des conséquences encore plus redoutables.
Imaginer un monde sans mensonges est bien plus terrifiant que le contraire : les gens qui disent tout ce qu’ils pensent sont bien peu fréquentables… Dès ses trois ans, l’être humain acquière une capacité indéniable à fabriquer un vrai mensonge, pour duper les personnes et ne pas avouer ses forfaits. Plus il grandit, plus il est capable de cacher son état réel et de fabriquer un état fictif. « Nous sommes tous des acteurs engagés en permanence dans notre mise en scène de la vie quotidienne » (p.24). Dans 25 % des cas, le mensonge est altruiste (pour préserver l’autre). Dans les 75 % qui restent, il est égoïste (donner une bonne image de soi, éviter une punition, un conflit, une rupture, obtenir un avantage…). Bien mentir est tout un art : il faut savoir contrôler avec précision la totalité des mouvements émis, pour ne pas éveiller les soupçons, tout en ne paraissant pas guindé. Le bon menteur est celui qui prépare son forfait, réfléchit vite, sait être prolixe, possède une excellente mémoire, gère bien ses émotions et s’avère un comédien de qualité.
Par contre, celui qui est très émotif et possède une haute conscience morale s’avérera un piètre praticien. Si chacun d’entre nous utilise bien plus souvent le mensonge qu’il ne le pense, il l’identifie plus difficilement qu’il ne le croit. « Détecter correctement le mensonge est, à n’en pas douter, un art aussi délicat que le mensonge lui-même » (p.222). Il faut renoncer aux stéréotypes courants. Les différences comportementales entre celui qui ment et celui qui est de bonne foi sont si peu nombreuses, discrètes et furtives qu’il est complexe de les distinguer : détourner le regard, bégayer et buter sur les mots ne sont pas des indices significatifs, se retrouvant autant chez l’un que chez l’autre. Sans compter les mécanismes d’induction. La suspicion crée un état de stress et de nervosité chez celui qui doute. Chacun a tendance, par intersynchronie, à imiter son vis à vis. L’interlocuteur va donc adopter, en miroir, le même comportement que celui qui l’interroge et lui donner l’impression de connaître un trouble particulier. Ce qui sera alors interprété, à tort, comme la preuve de son mensonge…
Pour confondre un menteur, mieux vaut cultiver la suspicion, taire ce que l’on sait et multiplier les questions, faire répéter les propos de celui qu’on suspecte et comparer son attitude présente à celle qu’il adopte habituellement. Sans garantie pour autant, de réussir à distinguer à coup sûr, le vrai du faux.
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