N° 1348 | Le 25 octobre 2023 | Critiques de livres (accès libre)
Quartier de combat, les enfants du 19e
Abdoulaye Sissoko, Zakaria Harroussi, avec Pauline Guéna
Des vies et des morts
Les quartiers populaires sont rarement décrits par les acteurs eux-mêmes, dans une démarche tant historique qu’ethnographique. Ce n’est pas du cinéma.
Quartiers de combat, c’est l’histoire d’un quartier populaire, le 19e à Paris, de ses habitants, de ses enfants. C’est l’histoire d’un ghetto français, violent, mais paradoxalement vivant, qui se dévore de la première à la dernière page.
Ouvrage raconté sous forme d’histoires de vies : ses auteurs, Abdoulaye Sissoko et Zakaria Harroussi nous parlent d’eux, mais aussi de leurs amis, de leurs petits et grands frères qui ont grandi dans cette zone vive et rageuse, et dont certains ne sont plus.
Abdoulaye d’Ourcq et Zak de Danube
Coincés entre Aubervilliers, Pantin, Le Pré-Saint-Gervais et les 20e, 11e, 10e et 18e arrondissements de Paris, les enfants du 19e se dénomment par leur quartier. Abdoulaye d’Ourcq et Zak de Danube. Histoire de réputation aussi.
Le livre s’ouvre sur Zak qui prépare sa fille pour aller à l’école pendant que les deux grands s’habillent, se remémorant ses propres souvenirs d’enfance, prenant le pouls de son histoire au regard de ses enfants. On plonge dans l’ambiance de cette histoire d’urbanisation, de quartier aujourd’hui rénové, de ces enfances trop vite passées dans la violence et la mort quasi quotidienne. La violence frappe. Pas seulement la violence des coups, des guerres de bandes comme on pourrait le croire, mais la violence institutionnelle, celle de la relégation spatiale, de la ségrégation territoriale, du chômage, de la drogue omniprésente. De la discrimination scolaire et des voies de garage, de scolarité passée à s’opposer aux injustices du système, des préjugés, du regard de certains professeurs sur les mères. Du racisme. De l’abandon des quartiers par les politiques.
Les auteurs ont choisi l’écriture comme moyen de résilience et de montrer aussi, le beau. On traverse alors les époques au fil des récits. Des années 75 à nos jours, c’est l’histoire qui s’écrit. Celle de l’immigration des premières générations - le père d’Abdoulaye est arrivé en 1962 - et des familles nombreuses. De ces parents venus d’ailleurs pour offrir une vie meilleure à leurs enfants. C’est l’histoire de guerres de gangs sur fond de hip-hop naissant, la danse ou la délinquance. Celle du logement et de son problème systémique. Celle de la religion et de ceux tombés dans le terrorisme. Pourtant, au-delà de la crasse et des histoires tristes, il y a une force de vie, une solidarité, un commun.
Il y a ces rencontres décisives qui changent un destin. Cet oncle ou cet animateur qui vous réveille et vous font prendre une autre route. Il y a l’art de la débrouille des copains. Il y a la violence qui monte à la tête, les règlements de compte et les morts, les balles perdues, les vengeances et les expéditions punitives.
La danse ou la délinquance
Et puis, il y a la drogue. Les drogues. Le shit, l’héroïne, la cocaïne des années 2000, le crack. Et le deal. Au-delà de l’éternel retour de la violence, se dessine la conscientisation politique des années 90, sur fond de rap contestataire, des injustices commises. Bien que traînant ses fantômes derrière lui, Abdoulaye reconnaît, avec le recul, « ces années de bonheur ».
C’est aussi l’histoire de ce livre : la réussite, l’intégration, l’innovation et la créativité, les champions, la solidarité des communautés, les victoires, pour témoigner qu’il y a d’autres choses à faire que de s’entretuer. Qu’il y a un « diamant urbain ». C’est pour ces raisons, que les auteurs ont voulu écrire. Merci à eux.
Ludwig Maquet
Les auteurs
Abdoulaye Sissoko dirige une entreprise de sécurité, Zakaria Harroussi travaille à la Propreté de Paris. Ils sont tous les deux travailleurs associatifs dans l’arrondissement.
Ils se sont confiés à la romancière et scénariste Pauline Guéna, autrice notamment de 18.3. Une année à la PJ (Éd. Denoël, 2020).
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