N° 1106 | Le 23 mai 2013 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Fidèle au rendez-vous décennal donné à ses lecteurs, Guy Delhasse nous livre ici l’ultime édition du journal de bord d’un éducateur d’internat qu’il ne sera bientôt plus, ayant décidé de prendre sa retraite. Ni burn out, ni amertume, juste le choix de bénéficier de ses droits, alors qu’il est encore en forme, et de ne pas subir la réforme drastique qui se profile en Belgique, comme ailleurs, visant à prolonger les années de cotisation.
Cela fait donc trente-cinq ans qu’il exerce ses bons et loyaux services dans la même maison d’enfants. Il y aura croisé cent soixante-sept jeunes, vingt collègues, six psychologues et trois directeurs (directrices). Que de chemin parcouru… Et pourtant, la même passion semble l’étreindre, l’amour de son métier transpirant à chaque ligne. Face au regard rempli de détresse de ces mômes, comment ne pas répondre par le sourire et la joie de vivre ? Cela permet à la vie de s’écouler, sans pour autant être dupe de l’impuissance à résorber des destins parfois coulés dans le béton de la misère.
Guy Delhasse ne regrette en rien d’avoir choisi cette profession inventée dans le milieu des années cinquante pour « répondre fermement aux scandales des bagnes d’enfants livrés à des bourreaux sans scrupule » (p.37). Curieuse destinée, pourtant, que celle de partager le quotidien de dix-huit enfants, garçons et filles, âgés de trois à dix-huit ans. Tout a commencé en 1862, lorsqu’une bourgeoise décide de recueillir dans sa maison de campagne une gamine dont la mère était en train de mourir sous ses yeux. Un orphelinat en naîtra, puis un institut géré par la communauté des sœurs de la Visitation. Les religieuses ont laissé leur place aux éducateurs spécialisés. La charité a été remplacée par l’action de techniciens dûment qualifiés.
Etre éducateur, c’est cultiver les trois « b » : le bon, le bien et le beau. Mais cette noble ambition se heurte aux contingences du quotidien : lever les enfants, les préparer pour qu’ils aillent à l’école, s’assurer qu’ils font bien leur toilette, leur servir leur repas, jouer, plaisanter et rire avec eux… Mais ne pas pleurer quand il faut les arracher des bras d’une maman et courir après ceux qui sortent dans la rue pour la rejoindre. Pour autant, « le vrai projet contenu dans ce métier est d’abord et avant tout fondé sur un désir de transformer et de transmettre. Transformer la société pour la rendre plus équitable […] transmettre des valeurs qui font la vraie vie » (p.26) explique Guy Delhasse, qui est devenu éducateur, par dépit de n’avoir pu faire carrière d’écrivain. Alors que sonne pour lui l’heure de la retraite, il va se replonger dans l’écriture. Si la profession perd un des leurs, la littérature reconnaîtra, souhaitons-le, cet auteur de talent.
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