N° 696 | Le 12 février 2004 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Que nous apprennent les enfants qui n’apprennent pas ?
Sous la direction de Jean Bergès
Notre société a élevé au rang d’injonction l’obligation d’avoir à réparer ou à faire taire les troubles de l’apprentissage conçus comme un défaut de l’enfant, de la famille ou de l’école. L’échec scolaire a pourtant permis de mieux comprendre en quoi consistait l’acte d’apprendre. Il y a d’abord la pensée qui comporte à sa base la pulsion d’emprise : éviter que les éléments externes ne nous submergent en restant en contact avec nos éléments internes, conquérir et maîtriser l’objet.
L’apprentissage est l’étape suivante. On sait qu’elle se situe à l’exacte interface entre l’équipement neuro biologique et cognitif de l’individu et son environnement familial, affectif, social et culturel. La faim d’information se met en place entre 6 et 12 ans, dans une période où la curiosité sexuelle se sublime en curiosité intellectuelle. Dans le meilleur des cas, elle persiste tout au long de la vie. Mais apprendre, c’est aussi obtenir l’amour de ceux à qui l’on veut plaire, tout en renforçant sa propre estime de soi. En même temps, tout apprentissage implique une résistance au changement.
Car vouloir savoir est une chose, accepter d’apprendre en est une autre qui suppose d’assumer un temps de suspens, un temps de vulnérabilité entre le moment où on lâche un tant soit peu ce que l’on sait et où l’on ne tient pas encore ce qu’on cherche à acquérir. Bien des obstacles peuvent contribuer à freiner ce mouvement. Quand les méthodes normatives, trop souvent encore en vigueur, tablent sur la même homogénéité chez tous les élèves dans leurs capacités à apprendre. Quand une relation trop fusionnelle entre la mère et son enfant incite ce dernier à se fixer sur la nourriture et les câlins au détriment de la curiosité du monde qui l’entoure. Quand il y a défaut d’étayage précoce du fait de la pauvreté des échanges. Quand il y a de faibles capacités de mentalisation ou retard des fonctions cognitives et instrumentales. Interviennent alors les méthodes de remédiation qui ne peuvent bien fonctionner qu’en respectant cinq principes : présupposer les compétences de l’enfant en échec, réinjecter chez lui le plaisir à apprendre, multiplier les voies d’accès au résultat, répondre à ses démarches en respectant là où il en est et, enfin, alterner les centrations sur les concepts et celles sur les procédures.
On le constate, on dispose de plus de théories qu’il n’en faut, et pourtant, des légions d’enfants continuent à bloquer dans leurs apprentissages (on estime qu’ils représentent 20 % d’une classe d’âge). Cela signifie soit qu’on ne sait pas tirer les bénéfices des différentes modélisations que l’on produit, soit que celles-ci rendent compte que très partiellement des processus en jeu. Ce qui n’est pas, convenons-en, le moindre de ce que nous apprennent les enfants qui n’apprennent pas.
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