N° 1179 | Le 18 février 2016 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Récits de « sans histoire » • Chroniques d’un travailleur social ordinaire
Fabrice Garnier
Cela faisait longtemps, sans doute, que Fabrice Garnier avait envie de se lâcher. Ça y est, c’est fait. Son ouvrage joue sûrement pour lui un rôle cathartique. Du point de vue du lecteur, une fois la première surprise passée, le plaisir pourrait bien l’emporter sur l’indignation. Convaincu de la mission de sauvetage du genre humain confiée au genti’z’éducateur s’occupant de pôvres personnes en détresse, il s’offusquera du cynisme de l’auteur, qu’il trouvera à coup sûr déplacé. Mais, celui qui n’a aucune illusion quant aux situations pour le moins décalées que nous rencontrons parfois sur le terrain – mâtinées de folie pure et d’incohérence de la part des institutions – se régalera. Car, si ce que décrit Fabrice Garnier ne recouvre bien entendu pas la globalité du travail social, cela existe et mérite d’être rapporté.
Bon, même si Philippe est persuadé être relié médiumiquement aux radars de la DST et de jouer un rôle central, quand il se promène une heure chaque jour dans la gare pour capter les ondes des personnes qu’il croise et ainsi détecter les criminels et terroristes qui seront alors directement repérés par les services de renseignement, il n’est pas vraiment dangereux. Quand, à chaque entretien, mademoiselle Vanneau s’adresse systématiquement à la chaise vide posée à ses côtés pour dialoguer avec une hypothétique tierce personne, cela peut devenir à la longue agaçant, mais on s’y habitue.
Jean-Claude, quant à lui, accumule dans son logement déjections et ordures, au point que l’odeur putride envahit tout l’immeuble. C’est un peu plus gênant. Mais son hospitalisation permettra de faire nettoyer son appartement. Qu’il pourra à nouveau dégueulasser à loisir, quand il rentrera. Jean-Louis avale les petites cuillères ? Pas bien grave : il dispose de toute une ménagère. Les voisins de Cindy et Francis n’en peuvent plus : hurlements, objets jetés par la fenêtre, bruits de mobilier ou de vaisselle cassée. Mais que font donc les éducateurs ? Comme d’habitude, ils ne font rien. Contacter les pompiers et/ou la police ? Ils réagissent mal : ils ne cessent d’intervenir. Appeler les services de psychiatrie ? Mais enfin, mon brave monsieur, vous savez bien que cette démarche doit venir de la personne elle-même. On ne peut soigner personne, s’il n’y a pas un minimum d’adhésion. Et puis, ce patient n’a pas respecté son contrat thérapeutique. On ne peut rien pour lui !
Être éducateur dans un service de tutelle, c’est aider les plus fragiles, certes, mais c’est aussi être confronté à la misère, aux addictions, à la violence, à la rue, aux bouges immondes : « On tente, petits bricoleurs de l’impossible, de lutter avec nos armes. Mais, nous ne possédons presque rien, que des moyens ridicules, dérisoires et vains. Autant vouloir arrêter les flots du fleuve, quand la digue a pété, avec des bandes de carton. »
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