N° 1344 | Le 31 août 2023 | Par Coco Dragnel (1), éducatrice spécialisée | Espace du lecteur (accès libre)
Je viens de vivre un recrutement humiliant et discriminant.
J’écris pour lutter contre cette maltraitance que peut nous faire subir la hiérarchie, elle-même noyée dans ses propres problématiques, qui ne sait plus s’en défaire, et le fait payer à ses employés. Je m’adresse à ces directeurs, souvent des hommes, qui ne savent plus prendre de recul, ce recul si cher au travail social.
Je suis arrivée, très enthousiaste comme d’habitude. Une femme, cheffe de service, m’a accueillie, nous nous étions parlé au téléphone, j’étais assez confiante, l’échange avait été sympathique et le poste me disait bien.
Un homme, directeur adjoint, est arrivé. À partir de là, sa collègue, qui aurait été ma cheffe, n’a quasi plus dit un mot. Il a pris la parole et ne l’a plus laissée. Ni à elle, ni à moi.
Il a pris mon CV et a énuméré ligne par ligne mes expériences qui ne comptent pas : celles où je n’étais « que » bénévole, stagiaire, ou non diplômée. Il m’a demandé de manière méprisante, avec un ton sarcastique, pourquoi je notais que j’avais « dix ans d’expérience » avec ce public. J’ai tenu, mais déjà là, je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait. J’ai répondu que cela faisait dix ans que je côtoyais ce public… Mais je n’en étais plus sûre, peut-être avais-je triché sur mon CV ? C’est bien ce qu’il sous-entendait. Je ne comprenais pas, je doutais de moi, je devais me défendre.
Alors qu’effectivement, cela fait bien dix ans que j’accompagne ce public, que certaines de mes expériences bénévoles ont été des plus marquantes et formatrices de ma vie, de mon évolution en tant que professionnelle du travail social.
Alors qu’on le sait, les « stagiaires », en 2e année, font partie de l’équipe à part entière (certaines personnes de la hiérarchie en profitent allègrement d’ailleurs).
Alors que j’aurais pu lui raconter mon parcours, lui parler de mon évolution, de mes valeurs, de ce que je venais faire ici. Mais non, il ne m’a pas laissé parler.
Et à la fin, j’ai compris : il était en train de négocier mon salaire ! Il a même réussi à prendre ce recul que j’aurais aimé qu’il prenne avant notre rencontre et a terminé son humiliation par : « allons, arrêtons de faire les marchands de tapis ». À qui parlait-il ? Pas à moi, puisque je n’avais encore rien demandé.
Après cela, je devais me présenter… Je ne savais plus par où commencer, moi qui suis habituellement à l’aise pour parler de mon parcours. Plusieurs fois, je lui ai dit que je n’avais pas « triché », cela me bouleversait. Mais je tenais, et tentais de me présenter.
Je lui parlais d’expériences que je n’avais pas écrites par choix, il insinuait que cela montrait encore plus ma tromperie… Comment faire lorsque quelqu’un vous reçoit pour un entretien, mais n’a absolument aucune confiance en l’autre a priori ? Comment faire en tant que femmes, travailleuses sociales, à qui on n’a jamais appris à négocier, à qui on a demandé d’être sensibles, pour rebondir après une telle humiliation, qui plus est tout à fait inattendue ?
Globalement, il y a un manque criant de travailleurs sociaux dans ma région. Globalement, mes anciens employeurs, ou ceux qui me reçoivent en entretien sont souvent enthousiastes vis-à-vis de mon professionnalisme, des valeurs que je porte, que je vis devant eux.
Celui-là n’a même pas relevé la tête.
À la fin, il m’a posé la question : « et s’il y a une réunion à 19 h, vous pouvez ? ». Surprise, interloquée, je réponds que généralement non, je ne pourrai pas, car comme je lui ai déjà expliqué, j’ai des contraintes horaires à respecter vis-à-vis de mon enfant et son assistante maternelle.
Mais qu’évidemment, si un événement important et planifié survient, je pourrais m’organiser, pour les personnes accompagnées. D’ailleurs, c’était la première fois que je pouvais parler d’elles, de ces personnes concernées par la discrimination, par la stigmatisation, par l’humiliation… À ce moment-là j’étais à leur place, et mon bourreau était censé représenter une institution luttant contre l’injustice sociale, et ses travers.
Il m’a bien sûr parlé de lui, a mentionné qu’« évidemment » il avait été éduc, qu’il ne voulait pas de gens qui « devaient partir à 17 h 30 tous les jours », car lui-même avait « laissé ses enfants au couffin jusqu’à 22 h à l’époque, et qu’ils n’étaient pas devenus cons pour autant ». A-t-il vraiment le droit de m’expliquer comment je dois vivre ma vie ? Est-ce du mansplaining ou simplement de la discrimination ?
Alors, monsieur, sachez que pour un premier entretien de reprise du travail, après deux ans de congé maternité, d’auto-entrepreneuriat social, je suis ressortie plus bas que terre de votre institution. Heureusement, d’autres personnes ont su me recevoir et m’écouter. Et ma confiance en moi est revenue aussi vite que vous l’aviez enfouie.
J’écris en espérant que certains managers prendront conscience de l’impact de leurs mots et de leur stratégie (était-ce prémédité ?) sur les employés qu’ils sont censés accompagner de la même manière que ce qu’ils leur demandent de faire avec les bénéficiaires.
Dans une société en mouvement, dans laquelle la discrimination est interdite, où l’on se rend compte de l’importance du bien-être au travail, et de l’équilibre pro/perso, s’il vous plaît, recruteurs, pensez-y, osez prendre soin de vos équipes, lutter avec elles pour des salaires décents, vous n’aurez qu’à y gagner.
PS. J’ai refusé le poste !