N° 1037 | Le 3 novembre 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Voilà un travail de criminologie passionnant, solidement argumenté, théoriquement étayé et expérimentalement vérifié. Si l’hypothèse d’Omar Zanna a pu être interprétée comme une exhortation au dolorisme, c’est que ses détracteurs n’ont rien compris à sa recherche. Le raisonnement de base est simple. Pour devenir un être social, l’enfant doit apprendre à supporter le manque. Notre société, en plaçant au cœur de l’existence la quête du plaisir et du bonheur, ne l’aide pas à faire le deuil d’un fonctionnement basé sur la recherche de sa seule jouissance. La délinquance acquisitive renvoie à l’extrême difficulté vécue par certains jeunes à gérer leurs frustrations. Pour réaliser leurs passages à l’acte, ils doivent anesthésier leurs capacités à percevoir les composantes et les significations émotionnelles de ce que ressent leur victime. Cette neutralisation de la représentation d’autrui passe par sa dépersonnalisation et/ou la minoration de la gravité des faits. Ces mécanismes sont particulièrement prégnants chez les sujets pour qui quelque chose a été tragiquement raté dans l’instauration du lien inaugurale à l’Autre.
Omar Zanna établit un lien entre cette défaillance conjoncturelle de la disposition à l’empathie et la tendance antisociale. L’enjeu serait alors de travailler ces compétences. Et le support qui le permettrait le mieux serait ces activités physiques et sportives tant prisées par les ados. Mais, dans le sport, ce serait plus particulièrement les chocs, les chutes, les blessures, les courbatures… consubstantielles à l’effort intense fourni. Difficilement exprimés sous d’autres formes, les mots fusent volontiers pour dire et partager ces douleurs physiques. Cette verbalisation crée une connivence émotionnelle et des confidences sur le vécu de chacun. Les épreuves ressenties par le corps serviraient ainsi de transition possible à l’approfondissement d’une empathie retrouvée.
Omar Zanna a proposé à des adolescents incarcérés, ainsi qu’à d’autres pris en charge dans un centre éducatif fermé et dans un foyer d’action éducative, de pratiquer des activités sportives, en évaluant leur progression en terme de socialisation, de coopération et d’empathie. L’évaluation s’avère positive, laissant entrevoir une piste fructueuse pour permettre d’accroître la capacité à distinguer entre soi et les autres et à partager affectivement les ressentis d’autrui. Trois conditions s’avèrent propices au succès d’une telle démarche : offrir un environnement physique et humain sécurisant, construire les situations d’activité sportive en collaboration avec les jeunes, assurer la continuité dans la présence des intervenants et assurer le relais progressif de ceux qui se succèdent.
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