N° 673 | Le 10 juillet 2003 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Il existe peu de recherches en France concernant la prévalence et la prévention du sida dans le public atteint de handicap mental. L’ouvrage présenté ici constitue donc une première. Mais, il va bien au-delà de la seule question de la pandémie, abordant un sujet fondamental : le libre accès à la sexualité pour des personnes qui, pour être intellectuellement diminuées, n’en ressentent pas moins, même chez les plus gravement handicapées, le besoin d’être aimé et d’aimer soi-même.
Les auteurs se prononcent d’emblée sans ambiguïté : « Il n’est plus guère possible, aujourd’hui, de continuer à considérer les personnes « handicapées mentales » comme incapables d’assumer une quelconque responsabilité dans le domaine sexuel et d’envisager, comme seule réponse, la répression » (p.11). Toutefois, toute une série de facteurs s’opposent à une gestion ordinaire de la sexualité et de ses risques.
On évoquera, tout d’abord, les vulnérabilités propres à cette population. Cela se concrétise par le manque de compétences en lecture (ne permettant pas de prendre connaissance des messages de prévention), par les difficultés d’abstraction (ce qui déréalise les risques de maladie et de mort) et de psychomotricité (permettant de poser le préservatif) ou encore par une prise invalidante de médicament (pouvant nuire, par exemple, à l’érection).
Ensuite, il y a cette faible estime de soi (pourquoi se protéger quand on a le sentiment d’avoir que peu de valeur aux yeux des autres ?) ainsi que la fréquente quête affective (la recherche éperdue d’un partenaire, chargé de colmater les manques, n’encourage pas forcément au discernement et à la prudence). Sans oublier l’habitude d’appréhender son corps selon des réflexes avant tout hygiéniques ou encore de laisser les autres prendre des décisions à sa place. Mais cet accès à la sexualité constitue aussi pour les membres du personnel un sujet compliqué à aborder. Les professionnels n’ont que rarement reçu une formation sur cette question.
Et puis pèse sur eux ce qui longtemps a constitué un tabou. Le poids des injonctions religieuses, de la prévention tournée essentiellement vers d’éventuelles grossesses, la peur d’une sexualité débridée, la recherche du risque zéro, la crainte des abus sexuels et la conviction qu’à l’intérieur de l’établissement, considéré comme une grande famille, toute relation relèverait d’une dimension symboliquement incestueuse ? tous ces arguments ont empêché non une sexualité qui est restée clandestine, mais la mise en place du moindre protocole d’accompagnement de la vie intime des usagers. L’irruption du sida a creusé une brèche dans le mur du silence.
Même si, encore maintenant, personne n’est à l’aise avec ce qui relève de l’intime, de la sphère privée et du jardin secret de tout un chacun, il est essentiel que s’ouvrent des espaces de parole et que soient mis au point des outils d’information et de prévention adaptés à ces populations particulières, ce qu’illustrent les auteurs en présentant plusieurs expériences.
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