N° 658 | Le 20 mars 2003 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Si les ethnologues et les psychanalystes ont fait de la prohibition de l’inceste et du partage des femmes le fondement de toute civilisation, la grande variété des fonctionnements humains ne vérifie absolument pas cette généralisation hâtive. Entre culture et nature, explique l’auteur, les frontières apparaissent bien plus floues et bien plus complexes qu’on ne l’imagine.
C’est le matriarcat qui a dominé jusqu’à environ 900 ans avant notre ère. Tout part alors du ventre de la mère qui est largement divinisée dans les représentations artistiques. C’est la femme qui choisit ses époux. Ceux-ci se succédant ou cohabitant, la multiplicité des conjoints rend impossible l’identification du père. C’est donc à l’oncle maternel que revient la tâche d’éduquer l’enfant qui naît. Le père n’est donc pas biologique, mais adoptif. La consanguinité domine ainsi que l’endogamie : l’inceste mère/fils n’est pas une exception mais une règle.
Quand le patriarcat s’impose, c’est tardivement. Il s’agit alors d’arracher l’enfant au ventre de sa mère, le père devenant le seul apte à le faire advenir à une naissance sociale. Pour autant, pendant des siècles, des formes archaïques de ce pouvoir des femmes ont perduré : cellules matrifocales des Antilles (grand-mère et mère constituant la base de la famille, l’homme n’étant là que pour « ensemencer » la femme), « mamas » dominant la famille italienne ? De nombreuses manifestations, apparues ces dernières décennies, ont renforcé et renouvelé ces tendances. Ce sont ces 75 % de divorce à l’initiative des femmes, ces 30 % d’enfants qui ne revoient plus leur père après la séparation du couple parental, ces familles monoparentales qui placent la mère dans une multifonction (cumulant à la fois les tâches d’éducation, d’exercice d’un métier extérieur et d’énonciation de la loi) ou encore ces familles recomposées fragilisant la place du père (les enfants du conjoint ne reconnaissant pas toujours l’autorité du beau-parent).
Pour Michel Rouche, il n’en faut pas plus pour défendre la thèse d’un retour contemporain à un matriarcat qui ne dit pas son nom. Dans un style parfois un peu réducteur lié au choix éditorial des questions/réponses, l’auteur nous livre ici une constante qu’on a trop tendance à oublier : la vie de couple fondée sur l’amour reste à l’échelle de notre histoire une réalité neuve et un projet à construire. Pendant longtemps, les parents font la loi dans les unions matrimoniales.
L’évolution du libre choix entre les conjoints (qui ne s’impose qu’à partir de 1880) est le produit de plusieurs facteurs, dont l’allongement de la durée de vie n’est pas le moindre : le couple passe plus de temps ensemble qu’avec ses enfants. Autre force appuyant la liberté dans la contraction du mariage, l’église catholique qui revendique que l’union se fasse dans l’altérité. Ce sera là, pour l’auteur, l’une des clés fondamentales de la construction de la civilisation occidentale.
Dans le même numéro
Critiques de livres