N° 561 | Le 25 janvier 2001 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Pendant longtemps, les sciences humaines restèrent bridées par le dogme catholique et la censure politique. C’est encore plus vrai pour la sociologie criminelle qui mit bien du temps à se détacher de la peur et de la fascination qu’inspire le crime et à trouver une approche objective. C’est Durkheim qui en pose les bases : « Il ne faut pas dire qu’un acte froisse la conscience commune parce qu’il est criminel, mais qu’il est criminel parce qu’il froisse la conscience commune. Nous ne le réprouvons pas parce qu’il est un crime, mais il est un crime parce que nous le réprouvons ». Le flambeau de la sociologie criminelle française qui s’était éteint dans le massacre de la guerre 14-18, va être rallumé outre-Atlantique dans les années 20. C’est le début d’une riche théorisation qui tente de comprendre les questions de la délinquance.
C’est d’abord l’école culturaliste qui se développe à l’université de Chicago. La sociologie y est conçue comme une démarche empiriste et réformiste. Elle démontrera notamment que les taux de délinquance peuvent être corrélés avec les taux de chômage, de suicide, de mortalité infantile ou de familles dissociées. Plus que de répression, ce qui est nécessaire, c’est la prévention et la réhabilitation des quartiers. Seconde école, celle qui fait une large place aux théories de la tension : la déviance ne serait pas inscrite dans la nature humaine, l’homme ayant une tendance spontanée à respecter les normes. La dérive délinquante serait liée à l’hyper valorisation de la compétition et la sous-culture liée aux frustrations sociales qu’éprouvent les enfants des classes populaires.
Autre approche complètement opposée, les théories rationalistes : le crime ne serait pas un dysfonctionnement social mais une attitude normale (l’anticonformisme étant la règle chez l’être humain). Tout comportement obéissant à un calcul des plaisirs et des peines, le sujet exercerait un choix, en décidant des stratégies propres à atteindre ses buts, y compris dans les réactions de transgression. Les théories de la réaction sociale valorisent, quant à elles, une approche plus interactionniste en dénonçant les mécanismes de la stigmatisation : « Le déviant est celui auquel cet étiquetage a été appliqué avec succès » (Becker).
La délinquance serait une construction sociale que l’on devrait relier à une résultante sociale économique et politique. Héritières de ces travaux, les recherches actuelles s’y intéressent tout particulièrement en les reliant aux phénomènes d’insécurité, d’immigration et de ghettoïsation urbaine. Ainsi en va-t-il de l’analyse de la dérive qui pousse les victimes, en l’absence de modes naturels de résolution des conflits, à porter plainte avec comme conséquence l’engorgement du système pénal et l’accroissement du sentiment d’insécurité. Il en va aussi de la distinction entre les différents modèles de justice : rétributif (axé sur la responsabilité individuelle qu’il convient de punir - réponse pénale traditionnelle), thérapeutique (axé sur la guérison et non la sanction - exemple de l’injonction faite aux toxicomanes), restitutif (tourné vers la réparation du préjudice causé - exemple des travaux d’intérêt général) et restauratif (résoudre avant tout le conflit - exemple de la médiation).
L’ouvrage de Jacques Faget décrit de façon vraiment passionnante toutes ces représentations qui prennent dans le contexte actuel une dimension particulièrement pertinente. Mise en garde essentielle de l’auteur pour bien décoder son travail : il faut éviter de réduire outrancièrement la complexité de cette question à l’influence d’un seul facteur.
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