N° 1035 | Le 20 octobre 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Voilà un ouvrage essentiel à lire, si l’on veut comprendre l’évolution des problématiques familiales contemporaines. Gérard Neyrand commence par rappeler la montée de la figure de l’individu, corrélée à l’évolution des valeurs néolibérales et ses conséquences sur les mutations vécues par le couple. L’importance grandissante des unions libres, la création du PACS, l’accroissement des séparations conjugales, l’augmentation du nombre de familles monoparentales ou recomposées… Le rapport à l’enfant ne peut plus être pensé à partir du mythe fondateur de la relation matrimoniale et du mariage indissoluble. L’éducation ne relève plus de la seule prérogative de la famille nucléaire, marquée par la proximité de la mère et l’autorité bienveillante, mais lointaine, du père. Le parental se dissocie de plus en plus du conjugal. Des individus en situation de parentalité ne sont pas forcément parents : la beau-parentalité ou l’homoparentalité peuvent, par exemple, jouer un rôle essentiel dans la vie de l’enfant.
La fonction parentale, qui revenait naturellement aux géniteurs, cède progressivement la place au rôle socialisateur et affectif assuré par des adultes qui répondent aux besoins habituels de l’enfant, sans relever forcément d’une parenté directe avec lui. La filiation, qui fixe une place dans la succession des générations, tout comme la reconnaissance de paternité ou de maternité, n’ont perdu ni de leur sens ni de leur importance. Si l’engendrement (par l’acte sexuel) et l’inscription (par l’acte d’état civil) sont nécessaires, ils ne sont plus suffisants. Il faut encore une affiliation, ce processus d’adoption psychique réciproque entre un enfant et un adulte qui s’investissent l’un l’autre, dans la relation quotidienne.
Les parents n’ont plus le monopole de la prise en charge de leur enfant, place qui leur était assignée implicitement jusque-là, de façon exclusive. Un beau-père, un adoptant, une famille d’accueil peuvent dorénavant jouer ce rôle parental et offrir à un enfant plus que deux parents. Dans le même temps, chacun étant devenu l’entrepreneur de sa vie, la famille a été transformée en petite entreprise chargée de produire des individus autonomes, performants et employables. En cas d’échec, elle est tenue seule responsable, accusée d’être démissionnaire et sommée de rendre des comptes.
Gérard Neyrand décrit ce paradoxe qui se concrétise au travers des législations et des dispositifs sociaux contradictoires, cherchant à la fois à accompagner cette parentalité plurielle et à la fois à pénaliser les familles, sans que soient tenu compte ni de l’insécurité sociale dont elles sont victimes, ni du rôle des autres instances éducatives qui participent pourtant largement à la socialisation de l’enfant.
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