N° 629 | Le 11 juillet 2002 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Tim Guénard n’est pas un apiculteur très ordinaire. Aujourd’hui marié et père de quatre enfants, il a vécu une enfance particulièrement difficile : abandonné par sa mère, cruellement battu par son père, maltraité par les familles d’accueil qui l’ont reçu successivement, il a néanmoins réussi à s’en sortir, personnalisant ainsi la notion de résilience chère à Boris Cyrulnik qui d’ailleurs préface son livre. C’est de l’intérieur d’un enfant victime devenu adulte qu’il nous parle. Et il nous décrit l’impossibilité d’oublier et la réactivation d’un passé qui peut resurgir à tout moment. Il nous parle de la difficulté de pardonner, mais aussi de la force de ce sentiment qui permet de « donner un coup de pied à la peur et au manque de confiance » (p.27).
Il lui en fallut des efforts pour se croire capable de rompre avec la loi des séries. A la naissance de son premier enfant, il a tellement peur de lui faire du mal qu’il préfère s’enfuir. Il faudra toute la patience de sa femme pour qu’il s’approprie pleinement son rôle de père et qu’il découvre comment aimer, de cet amour qui lui a tant manqué. « Je désirais tellement me blottir dans les bras d’une maman, tenir la main d’un papa, devenir un enfant tout petit, être attendu comme un fils. Le plus dur, c’était de ne pas pouvoir pleurer et être envahi par la rage, par la haine » (p.47). Cette violence, elle est là, tapie au fond de lui, prête à se réveiller comme un volcan, à tout moment. Elle ne disparaîtra jamais : Tim Guénard a simplement appris à vivre avec elle ?
Ce savoir-faire, il n’hésite pas à le mettre au service des autres. C’est Yves, âgé de 16 ans, qui après une tentative de suicide vient passer quelques jours chez lui, juste le temps d’arriver à convaincre ses parents de réinvestir leur enfant. C’est Miloud petit dealer qui fait la demande à son juge d’être reçu à la ferme de l’apiculteur, et qui va se transformer au cours des mois. C’est encore Daniel, père d’une petite-fille qui téléphone un soir pour confier la terrible violence qu’il reproduit sur sa famille après l’avoir lui-même subie de son père. Ou encore cette jeune fille qui appelle en pleine nuit et qui parle pendant une heure. Tim Guénard l’interrompt tout de go « À quelle heure arrive ton train ? » « Je me suis sentie soudain attendue quelque part. Cela m’a enlevé l’idée de me suicider », expliquera-t-elle quelques mois plus tard.
Des éducateurs, Tim Guénard en connaît qui se mettent en quatre pour accompagner les jeunes blessés par la vie. Mais il ne comprend pas ces établissements où les changements d’éducateurs sont fréquents pour éviter que ne s’établissent des liens affectifs. « Pourquoi les enfants blessés n’auraient-ils pas droit d’avoir des repères, s’étonne-t-il, chaque apprivoisement suivi d’un départ non expliqué fait souffrir l’enfant, la peur de l’abandon est réactivée » (p.179).
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