N° 1094 | Le 21 février 2013 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Travailleur social lui-même pendant dix ans, Jean-François Gaspar nous présente ici une lecture socio-ethnographique des motivations et représentations symboliques qui permettent à cette profession de « tenir », alors qu’elle est si peu valorisée économiquement et si peu reconnue tant académiquement, scientifiquement que socialement. C’est à partir de l’enquête qu’il a menée auprès de ses pairs, dans la région de Chalémon, en Wallonie, qu’il propose une catégorisation en trois registres : la démarche clinique, militante et normative.
Le travailleur social clinique, tout d’abord : très proche des psychologues, des psychiatres et des psychanalystes, ce professionnel identifie le problème de l’usager au symptôme d’une souffrance psychique profondément enfouie, qu’il s’agit de faire émerger. Recherchant une relation d’égal à égal, son action ne peut être fondée que sur l’expression d’une demande préalable et ne saurait s’inscrire dans la contrainte. Véritable virtuose de l’introspection, il est en demande d’une autorité morale, le superviseur jouant un rôle équivalent au confesseur religieux. « La tentation est grande de recourir à des méthodes et à des langages “psys”, comme si ceux-ci étaient plus crédibles que les leurs » (p.62).
Seconde catégorie, celle du travailleur social militant dont l’engagement professionnel se superpose avec l’engagement citoyen. De la même façon que sa disponibilité va bien au-delà de ses horaires officiels, ses interventions ne se limitent pas aux missions qui lui sont dévolues. Il dénonce, il déplore, il s’insurge, considérant l’usager comme victime de la domination sociale et cherchant à ce qu’il reprenne le pouvoir d’agir sur son existence. Sa motivation, il la trouve dans la conviction d’agir et de réussir à transformer la réalité plutôt que de la subir. Sa collaboration avec le travailleur social clinique est en général bonne : il y a complémentarité plus que concurrence, l’un agissant dans une dimension collective et l’autre plus individuelle.
Troisième idéal type présenté par l’auteur : le travailleur social normatif. Respectant scrupuleusement les directives, exécutant sans créativité particulière le travail qu’on attend de lui, il est surtout motivé par le souci de ne pas dépasser ses horaires et de ne pas trop en faire. Il est plus soucieux de son confort de travail et de sa carrière, que du sens de son action et des droits des usagers. Convaincu qu’il n’y a rien à faire, il refuse de porter toute la misère du monde et a renoncé à changer la société. Il s’appuie sur le cadre légal qui lui est fixé, qu’il se fait fort d’imposer à l’usager considéré comme avant tout victime de lui-même.
Face à cet échantillon, le lecteur n’a plus maintenant qu’à identifier le pôle dont il se sent le plus proche, les panachages étant autorisés !
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