N° 1317 | Le 10 mai 2022 | Par Denis Decourchelle, formateur, consultant (decourchelle.denis@orange.fr) | Espace du lecteur (accès libre)
Une très belle exposition, « La déconniatrie », vient d’avoir lieu au Musée des Abattoirs de Toulouse, qui mettait à l’honneur le travail et la personne du psychiatre François Tosquelles. On pouvait y voir, entre autres, des œuvres relevant de l’Art Brut, à la mesure de l’inventivité des internés accueillis au centre hospitalier de Saint-Alban, pendant et après la Seconde Guerre, des films documentaires, souvent réalisés par Tosquelles lui-même, montrant des moments de travail et de joyeuses convivialités. Mais on y mesurait aussi l’ampleur du travail effectué dans les autres différents établissements où il a été présent, Le Clos du Nid, Melun, Longueil-Annel, La Candélie. Et pour ceux qui voudraient mieux connaître les enjeux de cette trajectoire, le livre de son fils, Jacques Tosquellas, « Francesc Tosquelles. Psychiatre, catalan, marxiste » (2021) vient apporter des éléments biographiques et professionnels passionnants.
Mais comment donner envie aux jeunes générations de découvrir la richesse de ces années d’engagement et de pratique ? Une fois que l’on a pris plaisir à imiter son accent, « déconne mon petit, déconne… », on peut faire connaissance de son œuvre à la fois théorique et complètement intégrée à la vie de chaque établissement. Les témoignages sont nombreux qui montrent l’implication de Tosquelles auprès de la plupart des métiers concernés, par le biais des formations initiées, la supervision et l’analyse de la pratique, par la mise en place des Clubs de patients en partie autogérés et dont on oublie qu’ils viennent du modèle des coopératives anarchistes. On lira aussi avec profit la description du dispositif des « cassettes » audio, enregistrant des échanges en équipe, puis retravaillées, commentées par lui et à nouveau recyclées dans les nouvelles réunions. Son attention au « dehors » de l’institution, à son environnement immédiat : familles, villageois, voisins.
Et toujours en vue de donner envie aux nouvelles générations, si peu lectrices, d’aller vers ses ouvrages (presque tous sont et seront disponibles), on fera référence à la notion de psychothérapie institutionnelle. Certes, l’intitulé n’est pas très glamour et peut même faire peur. Tosquelles et Jean Oury ensuite l’auront mis en place, chacun avec des variantes. Pourtant, les principes de base en sont simples : considérer qu’à l’intérieur de l’institution spécialisée, chacun peut avoir une fonction de soignant et que l’institution elle-même doit faire l’objet de soins. Ce qui implique une égalité de traitement vis-à-vis de tous les intervenants : l’homme d’entretien et le psychiatre, la maîtresse de maison et l’éducatrice de passage, tous sont susceptibles de fixer un temps la greffe d’intérêt du patient-résidant, mais tous aussi se doivent d’échanger entre eux, sans préséance particulière, sur leur pratique, à la fois collective et très individualisée.
Enfin, il faut redire que Tosquelles est un politique, qu’il a commencé sa trajectoire de psychiatre au cœur de la guerre civile espagnole, au milieu et pour les combattants républicains. Et l’on apprendra avec émotion et une certaine admiration, comment il a installé des dispositifs de soins dont prostituées et bonnes sœurs faisaient partie, jusque dans le camp d’internement de Septfonds, en France où il s’était retrouvé, avec ses compatriotes.
Du reste, dans l’ouvrage du fils, les contributions des psychiatres de Catalogne replacent l’importance de sa présence qu’il donna généreusement, au moment l’Espagne sortait du franquisme.
Comme il serait dommage que l’inventivité et le courage de cet homme finissent en commentaires gourmets dans les revues et colloques spécialisés, et comme nous aimerions que les futurs travailleurs sociaux aillent de temps à autre respirer ce vent du Sud capable d’aérer les institutions les plus refermées.
(1) https://www.lespressesdureel.com/ouvrage.php?id=9157&menu=0
(2) https://www.persee.fr/doc/chime_0986-6035_1991_num_13_1_1781 « Une politique de la folie », François Tosquelles, Revue Chimères N° 13, 1991
(3) Jacques Tosquellas (dir), Francesc Tosquelles. Psychiatre, catalan, marxiste. La boite à outils. Éditions d’une. 2021