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📝 Tranche dâĂ©ducâ âą Des choses Ă te dire
« Ah au fait, jâtâai pas dit ! Je suis lesbienne ! » Petite interjection lancĂ©e en plein tea time informel pour marquer notre rencontre.
« Ben oui, tâes ma rĂ©fĂ©rente maintenant, alors autant que tu le saches par moi, enfin ⊠si tu ne le savais pas dĂ©jà ⊠puisque tu as sĂ»rement dĂ©jĂ dĂ» lire mon dossier⊠»
Quelques semaines plus tard.
Lors dâun entretien, cette fois ci bien plus formel en bord de riviĂšre, nous nous installons pour composer son projet personnalisĂ©.
Elle refuse tout accompagnement psychologique, elle estime ne pas en avoir besoin mĂȘme si ses larmes sont difficilement dissimulables lorsque jâĂ©voque les violences du passĂ©. Elle refuse que lâon aborde les questions liĂ©es Ă ses troubles alimentaires, elle estime quâelle nâa aucun problĂšme avec la nourriture et son corps, elle assume parfaitement ses quelques kilos en trop mais refuse de se mettre en maillot de bain et fait quotidiennement des descentes nocturnes dans le frigo. Elle refuse que sa famille soit Ă©voquĂ©e, elle estime quâelle est au clair sur sa situation, elle ne veut pas retourner chez sa mĂšre mais remet une mystĂ©rieuse lettre Ă la juge hurlant son dĂ©sespoir dâĂȘtre une enfant placĂ©e qui veut retourner Ă une vie normale. Elle refuse que lâon parle de sexualitĂ©, elle estime quâelle en sait assez et quâelle nâest pas intĂ©ressĂ©e par le sujet mais elle hurle Ă qui veut lâentendre son orientation sexuelle.
Elle ne parlera quasiment pas durant ce temps. Son corps rĂ©agira pour elle, ses yeux mâen diront beaucoup, ses larmes ponctueront mes phrases. Pour finalement conclure en ces mots : « Je ne savais pas que tu me connaissais Ă ce point, on dirait que tu as lu le livre de ma vie et que tu lâas appris par cĆur ».
Quelques mois de plus.
Alors que je discutais avec une collĂšgue mademoiselle nous interrompt choquĂ©e, outrĂ©e par mon vocabulaire. Je racontais une anecdote oĂč deux jeunes filles avaient mangĂ© trois paquets de biscuits en un goĂ»ter. Elle interrompt ma phrase « Je tâassure elles se sont enfilĂ©es [âŠ] » - « Mais comment tu parles ? Je ne pensais pas que les Ă©ducsâ vous parliez comme ça ! ».
Belle occasion, parlons de sexe. Quiproquo salutaire ce sujet tant Ă©ludĂ© va aujourdâhui rĂ©vĂ©ler tous ses secrets. Ses rĂ©ticences sâengouffrent dans mes provocations qui bien que maitrisĂ©es laisseront apparaitre de grandes idĂ©es figĂ©es liĂ©es Ă un passĂ© toujours bien prĂ©sent.
« Non, ben non, tu ne peux pas parler de sexe, toute façon deux filles ça nâa pas de rapport sexuel, donc inutile dâaborder le sujet »
« Ben non, je sais et câest trĂšs bien comme ça » Me rĂ©pond-elle avec un naturel dĂ©concertant.
Son ton net et affirmĂ© mâĂ©claire sur lâĂ©tendue du travail dâaccompagnement Ă la sexualitĂ© quâil y a Ă faire. Nous reprenons les bases. Pour elle lâacte sexuel se rĂ©sume « au machin du gars qui rentre dans le truc de la fille » ; lâamour se dĂ©crit en une idĂ©e simple « câest pour les filles romantiques » ; son orientation sexuelle se revendique par un « jâadore passer du temps avec des filles et au moins câest pas dĂ©gueu ».
Nous abordons la notion de pĂ©nĂ©tration qui selon elle rĂ©sume lâacte sexuel occultant toute notion de plaisir, de consentement et de partage. Je fais le parallĂšle avec son orientation sexuelle mais aussi avec son passĂ© toujours tu. Notre entretien Ă la riviĂšre, mon monologue Ă la riviĂšre, ses larmes Ă la riviĂšre, mâavaient permis de comprendre sans quâelle nâait Ă rajouter un mot.
Une larme brouille finalement ses cils, elle se dépatouille avec cette humidité qui va encore parler pour elle, tout en acquiesçant sur ces pistes de réflexion que je lui lance.
Sa vie sexuelle a commencĂ© Ă ses six ans, et mĂȘme du haut de ses quatorze annĂ©es les mots sont toujours difficiles Ă Ă©noncer pour dĂ©crire lâindicible.
Son corps fut violĂ© Ă de nombreuses reprises, par de nombreuses personnes. Elle sâest fait la promesse de ne plus jamais laisser personne pĂ©nĂ©trer cette intimitĂ© quâelle ne veut mĂȘme plus envisager.
Nous avons travaillĂ© toute lâaprĂšs-midi sur la dĂ©construction des schĂ©mas quâelle avait mis en place toutes ces annĂ©es. Elle se revendiquait homosexuelle pour ne plus avoir Ă entendre parler de relation sexuelle, pour supprimer les intrusions corporelles, pour sâĂ©loigner dĂ©finitivement de la gente masculine. Elle en avait oubliĂ© lâamour, la magie, le partage. Elle sâĂ©tait fermĂ©e aux possibles du futur.
La petite fille de six ans avait enfin la possibilitĂ© de se protĂ©ger fermant la porte Ă tous les hommes et leur « machin ».
Quelques mois aprĂšs.
Elle vient me voir au bureau et sans dĂ©tour elle me lance cette nouvelle exclamation : « Au fait ! Jâai bien rĂ©flĂ©chi, je suis lesbienne ! »
Je ne sais pas si câest le petit sourire que jâai dĂ©crochĂ© ou si elle avait prĂ©vu de me donner une explication mais quelque chose lâa poussĂ©e Ă continuer son explication.
« Mais tu avais raison, jâai fait le point, et je sais maintenant que ce nâest plus Ă cause de mon passĂ©, câest parce que je suis tombĂ©e amoureuse ! Et câest dâune fille ! » Les larmes ont laissĂ© place aux Ă©toiles dans ses yeux.