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Il est de ces enfants à pousser les adultes dans leur retranchement éthique. Il a huit ans et questionne son monde. Nous sommes une partie de son univers et ses questions bien que légitimes et terriblement pertinentes sont déroutantes. Il remet en cause nos pratiques éducatives ; est en demande constante d’explications, d’arguments, de réponses ; il pointe du doigt nos limites et nomme nos dysfonctionnements. Cet enfant a soif de justice, d’apprendre et de vie. Il vient souvent bousculer notre équilibre professionnel. Son histoire est rythmée par des conflits culturels. Les injonctions paradoxales où la violence est acceptée, même recommandée dans sa culture natale quand ici elle est prohibée et synonyme de séparation familiale, sont son quotidien depuis toujours. Il lutte pour comprendre le monde des adultes qu’il sait lui être inaccessible, sans pour autant que ce soit un frein. « Je sais que je suis un enfant et que je ne peux pas tout comprendre, mais un jour je serais un adulte et je saurais. » Mais lorsque les limites de compréhension sont atteintes, malgré ses multiples investigations, il ne peut plus contenir son sentiment d’injustice, sa frustration, sa colère. Il fait une crise et revendique son besoin de prendre l’air. Seul.
Mais ce jour il vient me chercher. Il est en désaccord avec une autre éducatrice, il a besoin d’un médiateur. Il s’est lancé dans un grand projet. Aujourd’hui, c’est confection de robe pour lui, mais tout le monde n’est pas du même avis. Son ambition est rythmée par le matériel à sa disposition, son drap de lit et les pinces à linge du jardin sont ses outils de travail. Mais cet élan fut stoppé par la collègue qui a décrété que les pinces devaient rester sur l’étendage. Il crie à l’injustice, lui qui ne se contente que de pinces à linge pour jouer pourquoi les lui enlève-t-on ? Telle est sa revendication. Il a besoin de sa soupape. Il vient me trouver pour déverser sa colère et accaparer mon oreille, espérant une main tendue pour sa prochaine résolution de conflit. Il me verbalise son besoin d’aide et sa crainte de représailles s’il ose tenir tête à cette personne. Je ne peux ignorer ses demandes, un échange à cœur ouvert s’ouvre alors. C’est seulement après cette longue discussion qu’il retrouve son calme. Il est prêt à entamer le dialogue avec la dite éducatrice et tenter de trouver un terrain d’accord acceptant de peut-être devoir abandonner son projet. Il conclut cet interlude, avec son regard qu’on lui connaît bien, rempli d’innocence et d’une pointe d’espièglerie, en une phrase qui aurait pu relancer le débat mais qui d’un sourire attendri trouva réponse : « Mais pourquoi toi tu connais toute ma vie et on doit tout le temps en parler alors que moi je ne sais rien de toi ? » Cette phrase, bien que hors propos dans cette histoire de pinces à linge, vient à nouveau percuter toutes les notions éducatives que l’on connaît. Si lui repart dans sa quête de robe à la confection artisanale, il me laisse avec ses interrogations à porter en équipe.