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📝 Tribulations dâune assistante sociale de rue âą La criĂ©e
Quand un travailleur social parle de son mĂ©tier Ă des personnes Ă©trangĂšres Ă son milieu, les retours ou rĂ©flexions principalement exprimĂ©s sont rĂ©guliĂšrement du type : « Quel courage tu as ! », « câest bien quâil y ait des personnes comme toi, moi jâen serais incapable ! », « câest un beau mĂ©tier empli dâhumanitĂ© ! », etc. De plus, lorsque câest une femme qui travaille dans la rue auprĂšs de jeunes en errance, les remarques sont, bien souvent, plus diligentes. Ces expressions dâadmiration et de compliments me mettent rĂ©guliĂšrement mal Ă lâaise, car je ne me reconnais pas dans ces descriptions ou dans la vision que lâautre porte sur mon travail.
Jâexerce un mĂ©tier comme un autre pour lequel jâai Ă©tĂ© formĂ©e, diplĂŽmĂ©e et qui me passionne. Jâai des amis actuaires (1) et je ne comprends pas plus leur quotidien quâils ne comprennent le mien. Pourtant, tout travailleur social que lâon soit, nous sommes trop rares, trop mĂ©connus ou trop invisibles pour que la sociĂ©tĂ© entende parler de nous ou de notre quotidien, ce qui peut nous rendre exceptionnels lorsque nous sortons du circuit du social.
Apparemment, les reprĂ©sentations construites et vĂ©hiculĂ©es au travers de lâhistoire perdurent, puisque plusieurs adjectifs nous sont invariablement attribuĂ©s : altruistes, humanistes, patients, tolĂ©rants, rĂ©confortants, Ă©coutants, indulgents, courageux â ces mots dĂ©finiraient les saints de la chrĂ©tientĂ© aussi !. Notre abnĂ©gation est aussi frĂ©quemment mise en avant, bien que â croyez-moi (!) â, nous sommes sans doute les champions pour profĂ©rer des blagues de mauvais goutâŠ
Notre modeste vocation est irrĂ©vocablement saluĂ©e, quand la responsabilisation des plus prĂ©caires est inĂ©vitablement dĂ©criĂ©e. Je suis persuadĂ©e que vous entendez, vous aussi, des rĂ©flexions du type : « sâils en sont lĂ , câest quâils lâont bien voulu », « il ne tient quâĂ eux de sâen sortir ! » ou encore, le bien connu « ils nâont quâĂ traverser le trottoir pour trouver du travail » ⊠Grrrr, comme ces remarques me mettent en rogne la plupart du temps, mais qui finalement, aprĂšs de nombreuses annĂ©es, ne gĂ©nĂšrent plus quâun essoufflement Ă la justification ! Car, elles Ă©manent (trop) souvent de personnes Ă©loignĂ©es dâune rĂ©alitĂ© â qui nous est bien trop concrĂšte â et, finalement, ne reflĂštent que des projections personnelles appliquĂ©es Ă des individus qui connaissent un parcours ou un environnement diffĂ©rent du leur.
Nous, nous sommes supposĂ©s savoir (!) puisque nous observons quotidiennement, Ă la fois, lâaffrontement et la coexistence de deux mondes opposĂ©s, tout comme leurs ambivalences, leurs distorsions, leurs projections, leurs reprĂ©sentations et leurs prĂ©jugĂ©s. Nous sommes, comme qui dirait, pris entre deux feux.
Alors, lequel, du criard ou du dĂ©criĂ©, est au balcon, observant avec hauteur ce qui se dĂ©roule en dessous, quand lâautre dĂ©ambule sur le trottoir, le regard tournĂ© vers le ciel, avisant lâĂ©tendue des possibles ?
(1) haut technicien de l’assurance