N° 890 | Le 26 juin 2008 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
À son apparition en 1947, l’étrange lucarne concernait 297 foyers. Aujourd’hui, plus de 86 % des Français regardent la télévision 3h30 par jour. Sur les huit magazines vendant plus d’un million d’exemplaires, six d’entre eux sont consacrés aux programmes TV. Ce média est bien devenu un passage incontournable de l’existence du citoyen, quasiment une seconde vie. Il pourrait servir de support à l’échange et au lien social, respecter les personnes et les faits, identifier les enjeux et les problématiques dans leur globalité, se centrer tant sur les échecs que sur les réussites.
Convenons-en, on en est loin. De fait, trop souvent, la télévision est soumise à la recherche d’une écoute dont va dépendre ses ressources publicitaires. Les meilleures intentions cèdent le pas devant les annonceurs. Il s’agit alors de maintenir le téléspectateur prisonnier de l’écran et plus particulièrement de la chaîne qu’il regarde : aller vite, faire disparaître les transitions, anesthésier toute velléité de changement, toute possibilité d’interrompre la sidération.
Aucun temps mort ne doit ouvrir de brèche dans la captation hypnotique. Dès lors, ce qui l’emporte, c’est la surenchère dans les effets, dans le spectaculaire, dans les événements, dans la vulgarité, dans l’exhibition de l’intime. Ce qui domine, ce n’est pas le message mais le spectaculaire, ce ne sont pas les nuances mais le pugilat, pas l’effort de pédagogie mais le bon mot pour briller, pas l’explication mais la séduction, pas le dialogue qui donne à penser mais le bavardage, pas le respect de la singularité de chacun mais l’identification au premier degré, pas la reconnaissance de l’autre mais la contemplation narcissique.
Ce qui semble traverser comme un fil rouge les dizaines de chaînes existantes, ce sont ces spots sucrés, ces rires préenregistrés, ce ton condescendant faussement familier, cette élimination du maillon faible permettant au téléspectateur de s’identifier au plus fort. Si l’on n’y prend garde, la télévision pourrait bien se réduire à une série de clips voyeuristes, d’images chocs et de propos lapidaires se télescopant frénétiquement. Ce constat inacceptable pour l’adulte est encore plus insupportable pour le jeune public : la télévision bafoue le droit à l’éducation, en invitant les enfants à se laisser aller à la médiocrité et à l’ignorance.
Philippe Meirieu ne se contente pas ici d’un cruel pamphlet. Il propose toute une série de mesures de salubrité publique pour tenter de transformer la télévision en outil démocratique : interdire toute publicité avant pendant et après les programmes destinés à la jeunesse, initier un journal d’information quotidien à destination des enfants, contraindre chaque chaîne à consacrer 20 % de ses programmes au jeune public, donner au CSA la responsabilité de concevoir le paysage audiovisuel comme un ensemble cohérent. Vaste programme : serait-ce le 13ème travail d’Hercule ?
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