N° 688 | Le 27 novembre 2003 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Ce que Jean Fayard nous décrit de son enfance est proprement hallucinant. On a du mal à imaginer qu’un homme victime à ce point de l’acharnement et de la violence ait pu survivre sans devenir un psychopathe assoiffé de vengeance. Jugeons-en plutôt.
Sa vie commence dans un réduit puant la saleté et les déjections humaines. Son père, imbibé d’alcool, fait régner la terreur à la maison. Sa mère ne vit que dans la haine de ses enfants. Incapable de subvenir à leurs besoins, elle les contraint à faire les poubelles pour se nourrir. Elle n’aura de cesse que de s’en débarrasser, finissant par les abandonner à l’assistance publique. Bref rayon de soleil dans la vie de l’enfant, un séjour de deux ans dans une famille nourricière qui lui apporte quelque réconfort. Mais, si le père de cette famille s’attache à lui, comme à son propre fils, la mère abusera sexuellement de lui !
Nouveau placement, cette fois-ci chez un fermier, qui l’oblige à travailler comme une véritable bête de somme, de 5h du matin à minuit. Avant de s’abêtir complètement, l’enfant réussit à s’enfuir. Renvoyé de l’assistance publique, il sera accueilli quelque temps par sa mère. Mais son répit sera de courte durée. Celle-ci obtient du juge des enfants son placement à l’éducation surveillée. Affecté au centre d’orientation de Savigny-sur-Orge, ses tentatives d’évasion lui valent de multiples passages à tabac et de nombreuses semaines passées au cachot. Envoyé à Belle-Île en mer, il y trouvera une brutalité tout aussi implacable. Il faut lire ce livre qui démontre l’existence au fond de l’être humain d’un potentiel de vie qui permet de résister aux plus terribles abominations. Car Jean Fayard finira, malgré toutes ces épreuves, à s’en sortir et à réussir sa vie.
Il faut aussi lire cet ouvrage pour bien se remémorer les effets de la soumission et de l’autorité qui balisaient l’espace public et familial d’autrefois, époque que semblent regretter certains. Mais ces lignes sont aussi le témoignage sur le passé peu glorieux des services socio-éducatifs qui y sont décrits. Autre époque, autres mœurs, pourra-t-on penser. Pourtant, la description qui nous est faite ici ne remonte pas au XIX ème siècle mais aux années 1960 ! Il nous faut assumer l’inhumanité et la violence avec laquelle l’assistance publique (ancêtre de l’aide sociale à l’enfance d’aujourd’hui) et l’éducation surveillée (ancêtre de l’actuelle protection judiciaire de la jeunesse) ont pu, dans certains cas, gérer la situation des enfants qui leur étaient confiés.
On ne peut lire ce livre sans être pris d’une révolte et d’une honte face aux agissements d’institutions qui, si elles peuvent s’honorer aujourd’hui, et à juste raison, d’agir en tant que championnes de la protection de l’enfance, n’en ont pas moins été dans le passé, dans certains cas, le complice de son martyr.
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