N° 1334 | Le 28 février 2023 | Par Chloé Remy, cheffe de service « Famille », MECS de Jean Martin Moye de Dieuze | Échos du terrain (accès libre)

Une expérimentation de conférence familiale en protection de l’enfance

Thèmes : Protection de l’enfance, Pratique professionnelle

La conférence familiale constitue un outil intéressant pour permettre aux parents de se dégager de l’aide contrainte dans le cadre d’un placement judiciaire.

Hugo, un adolescent âgé de 13 ans et Suzie, une enfant de 8 ans, sont arrivés à la Maison d’enfants à caractère social (MECS), en février 2021. Ils avaient déjà connu un placement, puis un suivi éducatif à domicile. Face aux difficultés qui persistaient (violences conjugales, consommation de substances psychoactives, défaut de soin, déscolarisation, absence de cadre éducatif…), un nouveau placement a eu lieu à la MECS de Dieuze.
La mère, Louise n’est pas en capacité de poser des règles cohérentes, claires et stables, au vu de son état psychique fluctuant. Elle peut verbaliser une forme de peur de dire non à son fils. Elle n’a pas de contacts psychiques avec ses enfants et semble le plus souvent ailleurs.
Georges, le père, n’a pas officiellement sa résidence chez Louise, mais il semble y vivre. Après quelques visites, les professionnels ont observé qu’il pouvait vite s’emporter verbalement avec les enfants s’il fallait poser un cadre, pouvant dire qu’il avait du mal à se contrôler. Il a eu des comportements inappropriés avec les professionnels (menaces, violence verbale) qui ont conduit à un dépôt de plainte. Ses droits ont été suspendus. Les tentatives de rencontres pour réussir à nouer une collaboration n’ont pas été fructueuses.
Hugo quitte de plus en plus souvent la MECS sans autorisation et ne se rend pas au collège, pour aller chez sa mère obtenir de la réassurance en même temps que de la satisfaction de ses désirs. Il est de moins en moins en lien avec des éducateurs.
L’équipe éducative peine à assurer sa mission de protection avec la famille d’Hugo et Suzie. Elle cherche d’autres voies de passage que les pratiques habituelles de travail avec les familles en protection de l’enfance.

La préparation

Nous avons organisé une conférence familiale. Cette expérimentation est le fruit d’échanges entre professionnels de la MECS et de l’Aide sociale à l’enfance de Moselle, de lectures inspirantes sur une approche venue d’ailleurs.
Lors d’une visite avec ses enfants, nous en avons fait la proposition à Louise.
L’identification des personnes-ressources dans le système familial s’est faite suite à la réalisation du génogramme. Louise ainsi que Hugo et Suzie, qui étaient présents, ont participé à nommer ces personnes. Il s’agissait d’Agnès la grand-mère maternelle des enfants, de Christine, l’arrière-grand-mère du côté maternel, de trois tantes des enfants, Michèle, sœur de Louise et Maïa et Lorène, demi-sœurs de Louise.
Chacune de ces personnes a été rencontrée individuellement. Ce temps de préparation a mis en exergue le besoin de dialogue. Il est apparu que le degré de compréhension des motifs du placement et d’appréhension des compétences parentales pouvait être très différent pour chacune des personnes rencontrées.
Une réflexion s’est engagée sur la participation des enfants. La décision a été prise de les associer, car il apparaissait alors que le processus perdrait de son intérêt, que les enfants avaient leur mot à dire et que leur présence pendant les échanges leur serait utile.

Le déroulement

Le jour dit, la famille a été invitée à formuler ses difficultés et à décider ensemble des actions à mettre en œuvre pour les surmonter ensemble.
Puis, vint le temps du partage d’informations, afin de communiquer les éléments du contexte, de définir la question à traiter (comment permettre à Hugo d’investir son placement qui répond à un besoin de protection ?), de fixer le non-négociable (impossibilité de retourner au domicile des parents), de souligner la nécessité de la liberté de parole, du respect de l’opinion, et de la confidentialité.
Quand vint le moment de laisser la famille à une délibération privée, celle-ci essaya bien de retenir les professionnelles présentes. Lors des entretiens individuels antérieurs, les personnes présentes avaient évoqué des craintes, car tout le monde n’était pas au courant des mêmes choses, qu’il y avait des tensions et que les échanges pourraient être complexes. À moins que ce ne soit les professionnelles, pour qui ce n’est tellement pas habituel de laisser tout le monde discuter en dehors de leur présence, qui retardent le moment de partir ? A posteriori, il semble que ce moment représente symboliquement la confiance accordée à la famille par les intervenants, dans la résolution des problèmes qui se présentent à elle.
La famille a échangé seule pendant plus d’une heure, hors la présence des professionnelles.
Quand les professionnelles ont rejoint la famille et ont pris connaissance du plan d’action établi, elles ont d’abord vérifié si la protection des enfants était suffisante. Elles ont ensuite défini leurs propres engagements, avant de fixer une nouvelle date de réunion sous deux ou trois mois.
À plusieurs reprises, pendant la conférence, Hugo s’est autorisé à parler des difficultés de sa mère, de sa difficulté à se lever le matin, à venir en visite. Il a pu dire que son père était destructeur. Pourtant, depuis le début de son accueil, Hugo n’avait de cesse de se plaindre qu’il ne comprenait pas pourquoi il était accueilli à la MECS, que tout allait bien chez sa mère et avec son père.

Les effets

Le compte rendu de la rencontre a été transmis à la famille. Une nouvelle réunion a eu lieu pour évaluer la mise en place des actions convenues. Face à certains engagements non tenus, des tensions anciennes sont apparues, qui avaient été contenues lors de la première rencontre.
Le danger existant au domicile de Louise fut une prise de conscience pour certains membres de la famille. Les enfants ont pu entendre que celle-ci validait ce danger et l’intérêt du placement, notamment face à la dégradation de l’état physique et psychique de leur mère.
Une amélioration de la dynamique familiale a rapidement été constatée. Un an après cette rencontre, les professionnels observent que les évolutions positives se sont maintenues pour Hugo et pour Suzie, cette dernière vivant désormais en famille d’accueil. Tous deux évoluent positivement malgré la dégradation de l’état du couple parental, grâce au lien plus soutenu avec une partie de leur famille élargie.
Pour ce qui est de l’équipe, tout cela a bousculé nos habitudes de travail. Une phase de formation des professionnels amenés à porter des processus de conférence familiale pourrait être une plus-value, afin d’adopter un langage commun et de bénéficier d’un espace d’élaboration commune lors de la préparation de chaque conférence. La question d’une supervision se pose pour l’équipe qui pilotera ces conférences. Les coordinateurs insistent sur l’importance de cet espace de prise de recul pour ajuster les interventions face aux réactions des familles.



Qu’est-ce qu’une conférence familiale ? Il s’agit «  d’un modèle de processus contrôlé qui mène à la prise de décision par la famille concernée […] pour résoudre un problème concernant un enfant en danger ou en risque de l’être  » (Empan n°62, p 136 à 139). Cette approche est utilisée depuis 40 ans en Nouvelle-Zélande avant chaque placement. En Suède, elle est réservée aux cas complexes, au Canada aux situations de violence. Dans plus de quinze pays européens, les conférences familiales sont mises en œuvre comme mode de travail alternatif avec la famille, soit prévues dans la loi ou juste comme une pratique professionnelle innovante.