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Violences urbaines : après la révolte, la peur
« Après la mort de Nahel, les jeunes nous ont fait remonter leurs peurs. Le jour de la bavure policière, peur de devenir des Nahel parce qu’au quotidien ils subissent des contrôles. Pendant les émeutes, peur du degré de violence des affrontements avec la police. Puis après le retour au calme, peur de la répression et des sanctions. » Éducateur de prévention spécialisée dans le 93, Pascal (prénom modifié pour préserver son anonymat) était sur le terrain en journée durant les trois jours de révolte. Dans un quartier au paysage de désolation où les voitures cramées bouchaient les entrées jusqu’au milieu de l’après-midi, son équipe a cherché à être présente dans une écoute non jugeante, mais dans son rôle de prévention.
Entre le 30 juin et le 4 juillet, 3 625 personnes ont été placées en garde à vue, dont 1 124 mineurs. ©Aurélien Laudy/Union de Reims/Maxppp
L’équipe a poursuivi ses projets, notamment l’organisation d’un séjour avec un groupe de jeunes, des petites médiations de rue, des temps d’échange autour du partage d’une pastèque. « Comme de plus en plus souvent avec le recul des services publics, nous étions les seuls sur le terrain , raconte l’éducateur. La mission locale a fermé, les animations ont toutes été annulées. Déjà très insatisfaisant au vu des réductions de budget, le semblant de vie qui reste a été retiré. Le réflexe des institutions a été de fermer les accueils, donc toutes les fenêtres de discussion. Du coup au départ, les adultes comme les jeunes venaient vers nous pour discuter des événements, parfois en mode fanfaron en se ventant des actions de la veille. Puis le lundi il y a eu un silence assourdissant, le retour à rien, la défaite totale : des quartiers transformés en déchetteries, une parole médiatique qui stigmatise les parents et une police encore plus énervée. Ce silence veut dire : maintenant ils vont nous maraver la gueule. »
Recul du service public
En effet entre le 30 juin et le 4 juillet, d’après le bilan du ministère de la Justice, 3 625 personnes placées en garde à vue, dont 1 124 mineurs. Lors des comparutions immédiates, des condamnations à des peines de prison ferme ont été prononcées même pour des personnes au casier judiciaire vierge. Pour les mineurs cette justice accélérée passe par le déferrement à délais très rapprochés. « Dans le cadre de cette procédure, il se passe 15 jours entre le moment où le mineur est présenté devant le juge et celui où il va être jugé lors d’une audience unique où il encourt des peines qui peuvent être sévères, explique Marielle Hauchecorne, éducatrice à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) à Poitiers et déléguée syndicale SNPES-PJJ/FSU. D’ordinaire, les éducs de la PJJ recueillent de renseignements socio-éducatifs avec un point sur la scolarité, les problématiques et les ressources de la famille, avec une proposition de suivi éducatif le cas échéant. La cours s’appuie sur ce recueil d’information dans son jugement. Mais là, certains mineurs sont totalement inconnus de nos services et les délais extrêmement rapides ne permettent même pas aux mesures d’être attribuées aux éducateurs, encore moins d’amorcer un travail éducatif. »
Répression ferme
Le collectif Justice pour les enfants (1) réunissant magistrats, avocats et travailleurs sociaux déplore cette réponse pénale : « Loin de se questionner sur le message de la jeunesse et sur la responsabilité des pouvoirs publics, le garde des Sceaux a appelé, par une circulaire du 5 juillet 2023, à une répression ferme des enfants et à la responsabilisation de leurs parents (…) Depuis des mois, voire des années, tous les acteurs et actrices de la prévention et de la protection de l’enfance alertent sur les dysfonctionnements majeurs des services publics de la jeunesse. En particulier, l’État ne donne pas les moyens aux professionnel·les de prévention d’assurer leur mission de protection des enfants, et ce dès l’école. Il en résulte que certaines familles doivent faire face, seules, à des obstacles majeurs en raison de leurs contraintes sociales et personnelles. De plus, le manque criant de professionnels sociaux-éducatifs – en matières civile et pénale – ne permet pas d’assurer l’accompagnement indispensable à la protection des enfants. »
Moins de policiers, plus d’armes
Suite aux révoltes urbaines de 2005, les effectifs de la police ont été réduits de 10 000 hommes. Cette perte humaine a été "compensée" par un renfort d’équipement, notamment avec des lanceurs de balles de défense (LBD). Les forces de l’ordre se sont donc autorisées à tirer sur des gens, puisque leur arme est considérée comme "non létale". En 2017, une enquête du Défenseur des droits établissait qu’une personne racisée subit vingt fois plus de contrôles de police que les autres. Les jeunes des quartiers se sentent harcelés par des hommes en armes, un terreau de violence. « Pour nous l’enjeu, c’est d’essayer d’avoir une parole sur leur révolte face au harcèlement policier, au racisme, sur les violences urbaines sans les enfermer dans un rôle d’émeutier, détaille Pascal, l’éducateur de rue. Ce qui m’inquiète, c’est qu’il n’y a plus d’endroit démocratique où ils peuvent s’exprimer. »
Myriam Léon
(1) Fédération syndicale unitaire (FSU), Syndicat des Personnels de l’Education et du Social à la Protection Judiciaire de la Jeunesse (SNPES - PJJ - FSU), Ligue des droits de l’homme, Syndicat des avocats de France, Syndicat de la magistrature, Conseil national des barreaux, Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats (FNUJA), FSU Territoriale, Union syndicale Solidaires, Barreau de Paris, Barreau de Seine-Saint-Denis, Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP - FSU) , Syndicat national unitaire des assistants sociaux de la fonction publique (SNUASFP - FSU), Confédération générale du travail Protection Judiciaire de la Jeunesse (CGT - PJJ)
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