N° 1302 | Le 5 octobre 2021 | Par Denis Decourchelle, anthropologue formateur | Espace du lecteur (accès libre)

Vivant Victor

Thèmes : Moniteur éducateur, Pratique professionnelle

Les faits : des étudiants moniteur-éducateur en première année, à l’IRTS Nouvelle Aquitaine, et un texte de la fin du dix-huitième siècle, un seul, dont ils lisent à chaque séance un passage. Puis ils commentent et interprètent en quoi ce qui est décrit à l’époque est toujours vivant, et le rassemblent chaque fois en une question, qui seront douze au final. Plutôt qu’en silence, un étudiant propose de lire ces extraits à haute voix, et le texte et ses pensées se font plus vivaces encore, on en suit les lignes de la démonstration et la beauté du style.
Au départ, et à l’arrivée il est prévu d’aller rencontrer des professionnels d’un établissement spécialisé pour les interroger sur ce contenu soigneusement rassemblé. Pandémie et anomies institutionnelles menacent de disloquer le projet, puis une embellie soudaine vient sauver l’affaire. Des professionnels d’un ITEP accueillent alors la petite cohorte des exégètes et tentent, vaillamment, de répondre à ces questionnements. Ceux-ci portent sur la reconnaissance de l’usager par la société civile, l’utilisation des renforçateurs dans l’apprentissage, la notion de morale dans l’éducation, la possibilité d’une éducation sexuelle ou la prise en compte de l’individu en collectivité, à titre d’exemple parmi bien d’autres thèmes.
Thèmes qui proviennent tous du riche document, « Mémoire (1801) et Rapport sur Victor de l’Aveyron (1806)  » (1) de Jean Itard (1774-1838), véritable récit clinique d’une entreprise d’éducation spécialisée, dont on doit aussi rappeler qu’il était d’abord destiné à des fonctionnaires ministériels dont dépendait la protection du jeune garçon. Montessori et Deligny dialoguèrent post mortem avec les techniques et les partis pris éducatifs d’Itard, sur les procédés d’apprentissages des mots au moyen de lettres en bois, le rôle de la sensorialité et des sentiments d’attachement, la notion même de projet d’accompagnement. Ainsi donc, à l’époque des portables zapettes et de l’image anthropophagique, un texte de deux siècles continue d’émettre du sens et il suffit d’une poignée d’humains, attentifs à autrui et sensibles au langage pour continuer à en disséminer les vertus.
« - Lorsque, pendant la nuit et par un beau clair de lune, les rayons de cet astre venaient à pénétrer dans sa chambre, il manquait rarement de s’éveiller et de se placer devant la fenêtre. Il restait là, selon le rapport de sa gouvernante, pendant une partie de la nuit, debout, immobile, le col tendu, les yeux fixés vers les campagnes éclairées par la lune, et livré à une sorte d’extase contemplative, dont le silence et l’immobilité n’étaient interrompus que par une inspiration très élevée, qui revenait à de longs intervalles et qu’accompagnait presque toujours un petit son plaintif. - Il eût été aussi inutile qu’inhumain de vouloir contrarier ces dernières habitudes, et il entrait même dans mes vues de les associer à sa nouvelle existence, pour la lui rendre plus agréable. » (1)


(1) https://bit.ly/3keCyzg