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2 avril 2021

🖋 Autoportrait de travailleur social • Thierry Trontin, éducateur spécialisé

Thierry Trontin - éducateur spécialisé

Thierry Trontin, éducateur spécialisé, co-gérant de la société coopérative de production (SCOP) Éducateurs-Voyageurs et du lieu de vie et d’accueil « La Croix des Quatre Chemins » dans le Puy-de-Dôme.

« Voir ces adolescents trop souvent appelés « incasables », en capacité de reconstruire quelque chose, même de façon modeste, enfin valorisés et confiants, demeure toujours un très bon souvenir »

Quels mots associez-vous spontanément au travail social ?

Écouter et inventer.

Pour quelles raisons avez-vous choisi votre métier ?

Il s’agit d’un choix tardif, de l’ordre d’une reconversion, opéré vers mes quarante ans, après des rencontres avec des publics en difficultés diverses (sociales, handicap) réalisées dans des cours d’Aikido où j’officiais comme professeur, et le souvenir encore prégnant d’une adolescence extrêmement compliquée durant laquelle des personnes référentes m’avaient fait défaut. D’où certainement le choix de m’engager auprès de publics adolescents.

Quelle formation avez-vous suivie ?

J’ai tout d’abord été formé à l’enseignement de l’Aikido au sein de l’Académie Autonome d’Aikido, enseignement associant aux pratiques martiales des cours de philosophie, psychologie et pédagogie. Puis je suis entré à l’École de travailleurs sociaux de Vic-Le-Comte dans le Puy-de-Dôme pour y passer le diplôme d’éducateur spécialisé. Je l’ai ensuite agrémenté de diverses formations personnelles assez variées allant de l’animation d’ateliers d’écriture à des pratiques énergétiques (médecine chinoise, Taï Chi) ou des pédagogies innovantes (pédagogie initiatique). J’ai récemment obtenu un master de recherche en Sciences de l’éducation, à l’université de Rouen.

Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?

Il m’est impossible de répondre à cette question par un seul souvenir. Le dénominateur commun pourrait être le moment trop souvent répété où dans les établissements dans lesquels j’étais en poste, l’accueil d’un adolescent semblait arriver à son terme, tant il mettait à mal les équipes et l’organisation institutionnelle. Il s’agissait alors d’être en capacité de penser différemment et, par la volonté et l’inventivité d’une ou deux personnes, de parvenir à lui proposer une forme d’échappée belle, quelle qu’en soit la forme. Il pouvait bien entendu s’agir d’un séjour de rupture (et/ou de suture), de quelques jours ou de quelques semaines, en France ou à l’étranger, mais aussi de toute autre invention apte à créer un espace de vie qu’il puisse intégrer, qui s’offre comme un possible, après avoir ébranlé ses certitudes (pratique corporelle, artistique, créative). Il fallait ensuite être capable de l’accompagner dans cette forme de bricolage éducatif, tout en laissant exister une part importante de clinique. Il y avait aussi quelque chose d’une prise de risque assumée, incontournable dans ce métier d’éducateur. Alors nous finissions par nous rendre compte que finalement quelque chose opérait, qu’une une transformation était à l’œuvre dans cette relation qui s’instaurait, cela en dépit des difficultés qui ne manquaient pas de continuer à exister. Voir ces adolescents trop souvent appelés « incasables », en capacité de reconstruire quelque chose, même de façon modeste, enfin valorisés et confiants, demeure toujours un très bon souvenir. Il faut cependant accepter que certains jeunes se soient malencontreusement égarés en cours de chemin.

Le pire ?

Le pire se tient certainement dans le fait de devoir se confronter quotidiennement à des personnes en situation professionnelle avec des idées arrêtées sur ce qui est bon pour l’autre, qui connaissent la posture idéale à adopter et cherchent à l’imposer, qui émettent des avis négatifs et mortifères face à l’innovation et l’expérimentation et sont dans l’incapacité de concevoir la clinique éducative. Ces personnes se rencontrent dans toutes les strates des dispositifs, administratifs, institutionnels, hiérarchiques. Cela va hélas jusqu’aux pairs. Faire bouger les systèmes s’est donc révélé être une tâche annexe, complexe, chronophage et parfois démoralisante, voire démobilisatrice. Les liens sont ténus entre le fait de s’engager personnellement pour l’autre et préserver ses espaces de confort personnel. Il convient d’en avoir conscience et de ne pas se mentir à soi-même, ni aux compagnons de route. Ne pas être un frein lorsque notre sphère intime est bousculée. Des amitiés anciennes se sont ainsi désagrégées au fil des expériences partagées, des incompréhensions et des renoncements. Elles restent encore parfois comme des blessures.

Quel est votre livre de chevet ?

Le courage de se vaincre, de Pierre-Yves Albrecht (Les éditions du Relié, 2002). Ce récit raconte le cheminement et l’expérience initiatique de jeunes toxicomanes, à travers une marche dans le désert et l’ascension d’un haut sommet des Alpes.

Thierry Trontin a contribué au numéro de Lien Social n°1298 – 1299 intitulé « Se mettre au vert », (2021). - Numéro disponible aux abonnés numériques et à l’achat.

Les séjours de rupture en question, de Thierry Trontin, critique parue dans Lien Social n°1266 (2020). Thierry Trontin a contribué au numéro de Lien Social n° 1254 – 1255 intitulé « Voyager, ici et ailleurs » (2019) - Numéro disponible aux abonnés numériques et à l’achat.

Vous êtes tentés par l’exercice d’autoportrait de travailleur social ? Vous souhaitez partager votre expérience ? N’hésitez à nous contacter à l’adresse suivante : katia.rouff@lien-social.com

Retrouvez les autres autoportraits

🖋 Murielle A., éducatrice spécialisée en centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS)

🖋 Laurence, référente de parcours du Programme de réussite éducative

🖋 Romain Dutter, ex-coordinateur culturel au centre pénitentiaire de Fresnes

🖋 Yazid Kherfi, médiateur tout terrain

🖋 Claude, assistante de service social en polyvalence de secteur

🖋 Patrick Norynberg, formateur consultant en politique publique, cofondateur et président de la Régie de quartier du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis)

🖋 Émilie Philippe, éducatrice de jeunes enfants, membre du collectif Pas de bébés à la consigne depuis sa création en 2009.

🖋 Florent Guéguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS)

🖋 Léa Turchi, assistante de service social, coordinatrice à la mission interface au Samusocial de Paris

🖋 Sadek Deghima, chef de service d’un club de prévention spécialisée

🖋 Lucile Bourgain, monitrice-éducatrice