N° 1311 | Le 15 février 2022 | Par Ludwig Maquet, éducateur spécialisé | Espace du lecteur (accès libre)
La récente actualité de faits de maltraitance révélée par une enquête dans les EHPAD du groupe Orpéa ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt.
Déjà, il y a quelques années, Hella Kherief, dans son livre « Le scandale des Ephad », ou bien Anne-Sophie Pelletier dans « Ephad, une honte française », dénonçaient les abus et maltraitances subis par nos ainés, dans des groupes privés à but lucratif, voués à spéculer sur leurs cheveux gris.
Lanceuses d’alerte bâillonnées et licenciées et EPHAD toujours debout. Et l’on s’étonne aujourd’hui, dans le contexte actuel délétère du travail social, de telles dérives ? Que se passera-t-il après cette énième dénonciation où maltraitance, commerce et copinage politique font, semble-t-il, bon ménage ? Et qu’est-ce que la maltraitance ? Si Céline Boussié, dans son livre « Les enfants du silence », a dénoncé, elle aussi, les maltraitances physiques, les brimades, les privations et les pressions sur le personnel dans un institut du Handicap, il est sans doute temps de dire ce que revêt la maltraitance et qu’elle ne s’arrête pas là. Elle est systémique, organisationnelle, personnelle. C’est ce que l’on appelle de la maltraitance institutionnelle. La maltraitance institutionnelle émerge, de manière générale, quand une institution de services échoue dans l’exercice de ses fonctions spécifiques ou provoque un mal-être de ses usagers et/ou de son personnel. Elle est physique et psychique. Elle relève de causes individuelles et organisationnelles.
Organisationnelle d’abord, quand bien souvent, l’absence de moyens et d’outils matériels alloués pour réaliser sa mission ne permet pas d’assurer un travail de qualité pour les publics accueillis. Le manque de personnel, le trop grand turn-over, l’absence de reconnaissance ou une hiérarchie sourde au mal-être des agents et des publics sont souvent cités comme des éléments explicatifs. Mais parlons aussi de la pressurisation du temps. Un acte, un soin, inscrits dans une ligne comptable, dans des modèles de gestion issus du Lean-management. Cette idéologie gestionnaire et bureaucratique envahissante, dominée par une culture du résultat et de tableurs Excel, transforme l’humain en une ressource financière. Capitalisme, quand tu nous tiens.
Individuelle ensuite, car les dérives comportementales des personnes, cela existe aussi. Elles peuvent être intentionnelles, prenant la forme de menaces ou d’humiliations. Mais elles sont souvent liées aux facteurs organisationnels, déjà évoqués : manque de formation, fatigue inhérente aux dysfonctionnements, incohérences d’équipe et relations interpersonnelles défectueuses, absence de régulation par un cadre hiérarchique compétent, entre autres.
Quoi qu’il en soit, il s’agit de replacer cette maltraitance et cette violence institutionnelle dans un contexte lié à la pressurisation, à la gestion et à la rentabilité d’un système libéral. Finir agonisant dans son urine à 6 000 euros la chambre par mois, c’est une belle allégorie du capitalisme, en fait !
Alors, bien que les tocsins sonnent depuis des années sur l’état de notre système d’action sociale et de santé, il est temps de sonner l’alarme, les amis, et que de réelles mesures soient prises. Et, pas seulement d’énièmes annonces en mode social-washing, à coup de peinture sur les murs pour en sauver les apparences. Un plan Marshall à la hauteur de l’enjeu social ! Les futurs présidentiables l’entendront-ils ? Vœux pieux. Nous ne pouvons compter que sur nous, pour nous faire entendre. Mais les travailleurs sociaux, passés les happenings non violents et démonstratifs, ont-ils d’autres armes à user ?