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🖋 Autoportrait de travailleur social âą Laure, assistante de service social en service spĂ©cialisĂ© « Familles »
« Il faut saisir une situation qui ressemble Ă mille autres mais comprendre une personne qui ne ressemble Ă aucune autre. Câest ce qui me bouleverse. »
Quel mot, adjectif, associez-vous spontanément au travail social ?
Adaptation.
Pour quelles raisons avez-vous choisi votre métier ?
Adolescente, marquĂ©e par la lecture de Chiens perdus sans collier de Gilbert Cesbron, je voulais ĂȘtre juge pour enfants.
En fac de droit, je nâai pas dĂ©passĂ© le DEUG. Je me suis rĂ©orientĂ©e et pendant neuf ans jâai travaillĂ© dans le notariat en qualitĂ© de comptable, sans pouvoir mây Ă©panouir.
Je voulais concilier profession et engagement pour participer Ă la construction dâune sociĂ©tĂ© plus juste. Je suis alors partie deux ans en coopĂ©ration au BĂ©nin.
Je travaillais dans un centre de recherche et de formation agricoles. Son fondateur, un NigĂ©rian formĂ© aux USA, voulait « que ses frĂšres relĂšvent la tĂȘte ». ConfrontĂ©e Ă une culture diffĂ©rente de la mienne, jâai pris pleinement conscience de ce qui nous unissait au-delĂ des incomprĂ©hensions possibles : notre aspiration commune Ă la BeautĂ©, non comme simple valeur esthĂ©tique mais au sens que lui donne le philosophe Nicolas Berdiaev : la BeautĂ© comme « chemin dâhumanitĂ© », comme « rĂ©alisation suprĂȘme de lâexistence ».
Ici comme lĂ -bas, chacun porte en lui cette aspiration Ă se rĂ©aliser pleinement, mĂȘme dans les conditions de vie les plus prĂ©caires. Câest un besoin vital quâATD Quart Monde, Les Petits FrĂšres des Pauvres et tant dâautres ont bien compris. Ă mon retour, nourrie de cette expĂ©rience, je me suis reconvertie dans le social.
Quelle formation avez-vous suivie ?
AprĂšs la fac, jâai obtenu un DUT CarriĂšres juridiques et judiciaires puis dix-sept ans plus tard, le DiplĂŽme national dâassistant de service social.
Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?
Je nâai pas un souvenir marquant mais des visages, des parcours qui mâont permis, jusquâĂ aujourdâhui, de ne pas connaĂźtre lâusure professionnelle. Dans le cadre dâun accompagnement RSA, cette maman seule avec deux enfants en bas Ăąge, rĂ©cemment sĂ©parĂ©e dans un contexte de violences psychologiques qui en peu de temps, a passĂ© son permis de conduire, rĂ©ussi le concours dâentrĂ©e en formation dâaide-soignante, suivi la formation et obtenu son diplĂŽme. Elle projetait de devenir infirmiĂšre. Cet enfant, le visage rayonnant au retour de son premier dĂ©part en vacances. Cette dame que jâai simplement Ă©coutĂ©e et qui mâa dit « Aujourdâhui, vous avez Ă©tĂ© mon soleil ».
Et dâautres encoreâŠ
Le pire ?
Toutes les personnes que jâai rencontrĂ©es ont des histoires qui se ressemblent et sont pourtant uniques.
Il faut saisir une situation qui ressemble Ă mille autres mais comprendre une personne qui ne ressemble Ă aucune autre. Câest ce qui me bouleverse.
La question de lâAbbĂ© Pierre reste lancinante : « Et les autres ? »
Je nâai pas non plus de pire souvenir, seulement le regret de ne pas avoir fait plus, de ne pas mâĂȘtre engagĂ©e de maniĂšre plus radicale, de mâĂȘtre trop souvent protĂ©gĂ©e face Ă la souffrance.
Aujourdâhui, je suis consternĂ©e par les mĂ©thodes de gestion appliquĂ©es dans les services publics qui visent la performance (tout numĂ©rique, accueil restreint, normalisation des « procĂ©dures », objectifs chiffrĂ©s, etc.). Elles dĂ©truisent nos valeurs, dĂ©mobilisent les professionnels et nourrissent un sentiment dâinjustice ou dâabandon chez les publics concernĂ©s.
Quel est votre livre de chevet ?
La MĂšre, de Maxime Gorki (Ăd. F. Juven, 1907). Le roman dĂ©crit la vie quotidienne des classes dĂ©favorisĂ©es dans la Russie tsariste, Ă travers le portrait magnifique dâune mĂšre qui, au contact de son fils rĂ©volutionnaire, prend de lâassurance, retrouve confiance en elle et en lâhumanitĂ©. Gorki dĂ©peint trĂšs bien la souffrance des laissĂ©s-pour-compte, la soif de justice, la force de conviction, les humiliations qui nourrissent le sentiment de rĂ©volte.
Toujours dâactualitĂ©.
Retrouvez les précédents autoportraits
🖋 Thierry Trontin, co-gĂ©rant de la SCOP Voyageurs-Ăducateurs et dâun lieu de vie et dâaccueil
🖋 Laurence, rĂ©fĂ©rente de parcours du Programme de rĂ©ussite Ă©ducative
🖋 Romain Dutter, ex-coordinateur culturel au centre pĂ©nitentiaire de Fresnes
🖋 Yazid Kherfi, mĂ©diateur tout terrain
🖋 Claude, assistante de service social en polyvalence de secteur
🖋 Florent GuĂ©guen, directeur de la FĂ©dĂ©ration des acteurs de la solidaritĂ© (FAS)
🖋 Sadek Deghima, chef de service dâun club de prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e
🖋 Lucile Bourgain, monitrice-Ă©ducatrice
🖋 Tristan Montaclair-Le Foulgoc, Ă©ducateur de jeunes enfants qui travaille avec des adolescents
🖋 Cristel Choffel, conseillĂšre technique de service social
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