• TERRAIN - Erasmus, l’enfant qui exaspère son entourage - Épisode 2 : L’arsenal du petit tyran
On se pose souvent la question du travail réalisé auprès des enfants qui sont confiés à la Protection de l’enfance. Éric Jacquot, responsable d’un lieu de vie et d’accueil (LVA) nous propose un long récit sur la prise en charge surréaliste d’Erasmus que nous proposons au lecteur en cinq épisodes, tout au long de cette semaine.
Sa meilleure arme, c’est l’effroi, la violence ne vient qu’ensuite pour apporter un peu de jouissance supplémentaire. Il aime faire mal et il n’a jamais aucun remord, aucune remise en cause. Il prend la vie des autres et en fait ce que bon lui semble. Il décide et c’est comme cela. C’est dans ces moments qu’il peut faire peur. Il le sait et ça lui plaît d’être le maître d’un monde qu’il façonne pour le rendre acceptable pour lui seulement. Les autres sont sans importance, ce sont du menu fretin.
C’est un petit animal à sang-froid au cerveau reptilien. Il n’a peur de rien sauf de son ombre.
Il adore vous rendre la vie impossible, il habite tous vos rêves, il hante vos temps de repos. Il rentre en vous comme un virus sans y avoir été invité. Comme un coucou, il pond dans votre nid et il ne lâche jamais l’affaire. Il faut qu’il ait votre peau et il l’aura, il en est persuadé. C’est lui le chef d’orchestre et il joue sa partition.
Il est manipulateur et la séduction après l’effroi, lui ouvre de larges possibilités d’obtenir ce qu’il recherche dès le départ. Il ne négocie pas, il exige la reddition. Pour cela, il vous harcèle, suscite le doute chez vos collègues ou celui de l’organisme de tutelle. Il crée le trouble, la méfiance des collègues envers les autres. Il use l’équipe, l’institution, il fait feu de tout bois dans une intelligence rare. C’est une chaine d’infos en continue qu’il diffuse pour manipuler son entourage. Il n’est pas à un mensonge près, il peut inventer des faits et ensuite être persuadé qu’ils sont vrais.
Autour de lui, tout se disloque, rien ne tient, rien ne va, rien n’est bon, tout est à refaire. Il sait entretenir ce climat proche de celui de l’enfer. Le « huis-clos » de Sartre c’est le paradis à côté de ce qu’il peut faire vivre à l’autre ou à une équipe pluridisciplinaire composée de soi-disant spécialistes des situations extrêmes.
C’est un vrai champion toute catégorie pour faire exploser le monde qui l’entoure et qui n’a d’après lui aucune justification d’exister en dehors de sa propre existence.
Il ne supporte pas les conversations sur lui quand il n’est pas là et s’il sait qu’un RDV est pris pour parler de lui chez nous avec un partenaire, on peut parier qu’il sera malade le matin et qu’il n’ira pas à l’école. Il est toujours dans le bureau des zéducs pour tout savoir et adapter en fin limier sa stratégie. Quand on lui en interdit l’accès, il s’installe devant ou derrière la porte avec un ampli et passe à fond et en boucle une chanson des Pussicate Dolls. Si on le renvoie, il revient immédiatement après et c’est sans fin.
Il a rapidement identifié les failles de chacun d’entre nous et il en profite au maximum pour instaurer le doute et la suspicion. Il connaît tout de nos vies privées même si personne ne lui en parle et il ne se prive pas d’en user quand cela l’arrange. Il est redoutable et ne manque jamais une occasion pour vous mettre en grande difficulté. C‘est un stratège de l’impensable et de l’exaspération.
Il écoute aux portes, vous empêche de téléphoner, de parler, de réfléchir et si vous allez aux toilettes, il écoute à la porte et fait des commentaires graveleux sur ce qu’il entend. Il est omniprésent et semble vouloir tout savoir, tout contrôler. Il est fatiguant, énervant et ne vous laisse du matin jusqu’au soir aucun répit, aucun repos. Son truc c’est de vous pousser à bout en vous répétant que comme on travaille dans la protection de l’enfance, on doit maîtriser nos humeurs et nos verbiages insipides. Il fait des crises qu’il maîtrise de bout en bout. Il casse et détruit tout ce qu’il y a dans sa chambre et quand l’effet escompté n’est pas au rendez-vous, il s’en prend au matériel collectif et individuel. Il adore faire souffrir les animaux, estropier les poules, vider de son eau un aquarium, maltraiter un chat, libérer une chèvre pour qu’elle abîme le jardin ou aille sur la route. Si vous avez élevé des perruches afin qu’elles parlent à l’oreille d’un autiste, il faut craindre très sérieusement pour leur vie. Il ne supporte pas ce qui pourrait intéresser l’autre en dehors de lui. Il ne supporte pas la différence surtout quand ce n’est pas la sienne. Pour lui, un autiste n’est que quantité négligeable, il ne montre jamais de sentiments d’empathie. Il est froid et déterminé et il aime s’inventer des objets ennemis.
Il s’en prend souvent à son matériel scolaire, il lui parle et s’énerve dans une mise en scène où l’objet semble lui répondre. Tout de suite après, il le détruit parce que sa réponse ne semble pas lui convenir. Il fait de même avec ses chaussures, ses pantalons, le vent, la pluie, une branche qui le frôle et d’autres choses que j’ai oubliées. Il y met tellement d’ardeur que cela a le don d’exaspérer n’importe quel spectateur. Il n’a parfois même pas besoin de témoin pour se mettre dans cet état, il se contente de lui dans ce qui semble, enfin je n’en sais rien s’apparenter à un sentiment de domination.
Des fois je trouve plus rassurant qu’il s’en prenne à moi en me balançant une table de nuit depuis le premier étage du bâtiment ou en me frappant avec une toile de peinture envoyé façon frisbee. J’ai, lors de ces passages à l’acte, été blessé physiquement légèrement au genou et au bras. J’aurais pu tenter à ces occasions de le contenir mais je n’ai jamais osé, il me paraissait si frêle (30kg) que j’avais peur de lui faire mal. Il avait trouvé là le système pour me rendre inopérant.
C’est un tyran domestique non domestiqué.
Prochain épisode, demain : Entre épuisement et soulagement