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• TERRAIN - Erasmus, l’enfant qui exaspère son entourage - épisode 3 : Entre épuisement et soulagement
On se pose souvent la question du travail réalisé auprès des enfants qui sont confiés à la Protection de l’enfance. Éric Jacquot, responsable d’un lieu de vie et d’accueil (LVA) nous propose un long récit sur la prise en charge surréaliste d’Erasmus que nous proposons au lecteur en cinq épisodes, tout au long de cette semaine.
J’ai souvent rêvé que je lui retournais une grande claque dans le visage. La dernière fois c’était avant le début de la période de confinement quand il m’a craché au visage pour me donner le coronavirus car il avait entendu que les vieux étaient des sujets à risque. Ce jour-là, il venait de tousser intentionnellement sur un autre jeune et je l’avais réprimandé. Il m’a alors craché au visage en se sauvant et en me disant que j’allais mourir.
Sur le coup, j’étais sidéré et je n’ai pas pu prendre le temps pour lui expliquer la gravité de son geste. Ma boîte à outils était vide. Il venait d’atteindre sans doute mes limites et cette sorte de menace de mort par procuration, associé à un crachat au visage très humiliant m’indiquait qu’il fallait que je passe le relais à ma collègue pour ne pas commettre l’irréparable. La période était propice à toutes sortes de fantasmes et les discours contradictoires au sujet du coronavirus n’avaient rien de rassurant et étaient impropres à calmer le jeu, surtout pour moi en tant que permanent responsable d’un Lieu de vie et d’accueil (LVA) sachant la possible galère qui allait advenir. Quand j’ai rendu compte de cet épisode de crachat et de menace à sa référente de l’aide sociale, elle m’a fait une réponse plus que stupéfiante et loin d’être au niveau de la situation « ce n’est pas grave, il n’a pas le COVID ». Je ne ferai pas plus de commentaires ici mais elle aussi m’a sidérée dans sa légèreté et sa grande distanciation professionnelle.
Le soir même dans mon sommeil, j’ai revu la scène et je lui ai mis illico la grande baffe qu’il aurait peut-être mérité de recevoir pour de vrai et qu’il savait d’avance que jamais il ne la recevrait. Du coup en rêvant cela et en me rendant compte qu’il avait une sorte de prescience qu’il ne risquait rien, je lui ai mis un énorme coup de poing au visage qui lui éclata le nez. Dans ce rêve, il y avait beaucoup de sang et j’éprouvais presque du plaisir à le voir en souffrance à son tour. Ce sentiment de plaisir m’a beaucoup gêné au réveil puis au travail, je ne savais pas comment le prendre. Erasmus était allé chercher chez moi, une facette que je ne me connaissais pas et j’étais mal à l’aise de devoir assumer cette violence qui devait sommeiller en moi presque à l’insu de mon plein gré ! J’avais là aussi encore une raison de lui en vouloir, il démontrait chez moi ce que j’espérais pouvoir me cacher. J’étais touché et son pouvoir ne se réduisait pas au présentiel, il avait en effet, un réel impact sur moi dans son absence.
La période de 10 semaines de confinement ne m’a pas permis de revenir sur ce sujet avec lui. Il a passé la moitié de cette période avec trois éducateurs (trices) qui se relayaient auprès de lui seul, deux jours de suite. Le deuxième jour chacun(e) de mes collègues me disaient ne plus pouvoir le supporter. Nous nous sommes répartis les autres et personnellement j’en ai pris trois à mon domicile.
Je dois avouer que j’ai eu un confinement heureux, je le raconte dans mes brèves de confinement sur le site de PSYCHASOC.
Erasmus était devenu, compte tenu de sa dangerosité pour les autres, impossible à faire cohabiter avec aucun d’entre eux. L’opération a été coûteuse en argent et en énergie mais nous n’avions que cette solution pour prendre le moindre risque.
En cours de confinement, il est parti vers un autre établissement prétendument mieux adapté et muni d’une équipe soignante avec psychologue et psychiatre. Enfin, c’est ce qu’on nous a raconté et comme on commençait à être au taquet en cette période compliquée, nous nous en sommes contentés. C’est dommage de le dire mais c’était un vrai soulagement de le voir partir pour les adultes et pour les enfants. J’ai même entendu dire que l’un d’entre nous avait ouvert le champagne à cette occasion. C’était un de nos stagiaires mais cela m’a glacé le sang.
Les dernières nouvelles que j’ai obtenues de lui ne sont pas très bonnes, loin d’être rassurantes mais je ne m’étendrai pas ici sur le sujet et c’est dommage. Je ne tiens pas à faire subir à notre association un procès en diffamation car il ne suffit pas de décrire la réalité pour avoir raison, le droit est beaucoup plus subtil que cela.
Prochain épisode : Anamnèse