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• TERRAIN - Journal de bord - Les uns partent brutalement, les autres restent
Par C. B, monitrice éducatrice dans un service d’urgence
Reçu le jeudi 19 mars 12h18.
Le jour de l’annonce du président, je suis chez moi devant mon écran, avec ma famille. L’annonce tombe : fermeture de toutes les structures scolaires. Bon, je sens que mes prochains jours de boulot vont être sympas, me dis-je avec humour. Je travaille ce week-end, mais, à part les restrictions concernant les sorties de loisirs, nous ne pouvons que faire des pronostics sur notre avenir proche et celui des enfants, toujours avec humour.
Nous travaillons habituellement à trois adultes pour sept enfants âgés entre 3 et 10 ans (maitresse de maison et éducateurs). Dès le vendredi matin, toutes les visites médiatisées et rendez-vous médicaux sont annulés. Tous les Centres médicopsychologiques et Centres d’Action Médico-Sociale Précoce ferment. Un smartphone nous a été donné pour les appels en visio avec les parents « si besoin ».
Sur le foyer d’urgence, nous sommes beaucoup trop de professionnel, au vu des consignes annoncées. Il faut épurer, et vite, apparemment. Nous n’avons pas toutes les informations mais nous avons tous compris que la situation est grave. Nous avançons heure par heure et la suite va être longue et difficile pour tous.
Lundi soir, nous sommes trois éducateurs pour cinq jeunes. Nous sommes trois car deux des enfants présents sur l’urgence ont un accompagnement bien particulier dû à leur handicap. D’après notre direction, c’est encore trop, beaucoup trop d’adultes.
En 48 H, c’est à dire entre le lundi matin 8h et le mardi soir 18h, nous forçons le départ de trois enfants, le mot exact serait « éjection ». Car, alors que nos bases éducatives nous imposent une réflexion autour du travail de séparation, le risque de propagation du virus, lui, nous impose un balayage des pratiques éducatives au profit d’un nettoyage sanitaire.
Sans équivoque, « Claire » doit quitter le foyer d’urgence pour une MECS, un départ, en urgence et définitif après huit mois ici, balayés en 1h30. Nous rangeons ses affaires dans des sacs de course, emballons un cadeau en vitesse, vite un bisou et au revoir… De toute façon, notre avis a peu d’importance, au vu des consignes sanitaire qui nous ont été données. Nous savons tous que « nous n’avons pas le choix ». Puis une fratrie est à son tour renvoyée chez sa mère en une heure. Les enfants, eux, étaient ravis, car la juge avait ordonné un placement à domicile. Mais, pour cette famille, tout le travail repartira de zéro.
Finalement, nous, éducateurs, tentons de chercher le moins pire dans le pire. Ces départs sont positifs pour les jeunes, ils sont juste « mal faits, trop rapides et non travaillés ». Quelles seront les conséquences de ces séparations brutales pour ces enfants ont 4, 5 et 7 ans ? Quelles vont être les effets sur ces familles à l’équilibre déjà fragile ? Et pire, que montrons-nous à ces enfants ?
Le cas de « Marc », 9 ans : mi-temps en Institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP)/ /hôpital de jour et mi-temps en Foyer d’urgence/Maison d’enfants à caractère social. On travaille la sortie de cet enfant depuis des mois. Le lundi matin, nous recevons un appel de tous les professionnels qui prennent en charge le jeune : ils ferment tous leur porte, ce dernier devant rester confiné ici sur l’urgence. L’ITEP compatit et propose un soutien mais les consignes sanitaires sont strictes : pas de circulation des personnes en dehors de son « habitation ». Ils ne peuvent qu’appeler.
Notre question : comment allons prendre soin de cet enfant qui a besoin de circuler pour ne pas exploser ? Marc nécessite à lui tout seul un éducateur en plus sur le groupe. Mais il est inconcevable d’être trois pour quatre enfants au regard de la situation actuelle. Nous sommes dans une impasse : protéger les professionnels d’un risque sanitaire grave ou protéger cet enfant et le groupe de son mal être ? Quelle est la solution la moins pire ?
Je parle de lui mais les quatre enfants qui restent sur le service d’urgence ont bien compris ce qui se passe pour eux : ils n’ont pas le droit de sortir, ni d’aller à l’école, ni de voir leur famille. Ils doivent rester avec leurs éducateurs. « Pourquoi les autres enfants sont partis et pas eux », demandent-ils ?
Nous leur répondons que c’est comme ça et que les chefs en ont décidé ainsi. Nous tentons de les rassurer, en leur disant que nous allons quand même nous amuser ensemble pendant ces « petite vacances » …
Et bien sûr le service d’urgence reste ouvert 24h/24H et 7 jours sur 7… des entrées sont donc à prévoir car nous n’avons plus que quatre jeunes et nous avons de la place.
Retrouvez tous les jours les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.
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