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• TERRAIN - Journal de bord - Une éthique qui passe avant toute chose
Par François LECAUDEY, Chef de service en Foyer de vie
Reçu le 2 avril, 18h50
C’était un mardi de mars 2020...une fin de nuit d’insomnie !
Le jour pointait le bout de son nez derrière les volets...
7h30 sonne au clocher de l’église du village.
Il me faut retourner travailler. Être auprès des résidents et des professionnels qui, malgré l’adversité d’un risque viral et vital, restent mobilisés. Cette nuit je me suis perdu dans les paradoxes d’une « gouvernance Excel » adepte des fusions et autres normes ISO, perdu dans les injonctions paradoxales et notamment celle de protéger salariés et usagers sans équipement pour suivre les procédures et autres protocoles sensés nous permettre d’y parvenir. Malgré tout cela et comme tous les jours, il nous importe, nous les cantonniers du lien social, d’accompagner cette partie de l’humanité confinée à l’année par notre société, comme bon nombre de minorités, dans l’étroite pensée de nos « mondes civilisés ».
Et puis il y a ces moments de petits bonheurs qui comme un arc en ciel colorent les ciels sombres des humeurs pluvieux :
Hier soir, à 20h, une des éducatrices, de service au repas du soir, a proposé d’applaudir les résidents… Après deux semaines de confinement elle avait à cœur de saluer le comportement des membres de cette communauté, semblables à bien d’autres dans les établissements du médico-social. Ici le vivre ensemble se conjugue au présent en tout temps et dans toutes circonstances. Depuis le 17 mars, malgré l’absence de visite, de sortie en famille, malgré la baisse des effectifs, l’arrêt des activités et des accompagnements qui, au long cours ponctuaient leur quotidien, les résidents font preuve d’une sérénité, certes fragile mais au combien louable. Il y a de l’exemplarité dans leur manière simple de vivre cette période. Bien sûr certains ont peur, certains développent des comportements liés à la perte des repères induite par le confinement. Cependant ils font face ensemble sans vider les rayons des supermarchés, sans braver les interdictions de déplacement, sans céder à la panique. Alors oui, bravo à vous toutes et tous citoyens cabossés mais pour autant valeureux, et respectueux des consignes gouvernementales.
Cette quiétude relative, nous la devons aussi et pour beaucoup à ces professionnels, airbag de nos sociétés, dont le rôle social est d’amortir l’impact du handicap et de la misère sur l’inconscience de nos « cons patriotes ». Ces cultivateurs d’humanité, éducatrices ou éducateurs évidemment, mais aussi tous ceux qui œuvrent dans les coursives de nos foyers de vie : Les agents de services sans qui la qualité de vie des résidents et la Qualité de Vie au Travail de tous, seraient très nettement affectées, voir infectées… le factotum qui continue à réparer, approvisionner, entretenir et embellir, à nos secrétaires qui assurent et rassurent en étant le contact avec l’extérieur et les familles ,et cela en faisant preuve de bienveillance et d’empathie comme habituellement ; à notre infirmière à mi-temps qui, dans un foyer de vie, est le seul repère paramédical pour l’ensemble des acteurs et par voie de conséquence pilier essentiel dans ce contexte de crise sanitaire ; les surveillants de nuits qui dans les heures sombres de la nuit où le doute et la solitude envahissent les couloirs de l’établissement ,restent présents et amènent, tel un phare dans la nuit, un repère stable dans cette période d’incertitude majeure… tous contribuent à la continuité d’un accompagnement mis à mal depuis des années par les politiques budgétaires. Tous continuent de tisser le lien pour éviter la rupture de parcours, la décompensation, l’implosion de notre société.
Alors bravo à vous aussi … !
Certains diront que vous ne faites que votre métier, vous n’êtes effectivement pas des héros ; cependant, dans chaque salarié il y a ce que B. DUBREUIL appelle « de l’obligé et du volontaire » ; l’obligé est ce qui est attendu dans le cadre de la fiche de poste, du métier et du référentiel. C’est ce pourquoi nous sommes payés ! Le volontaire quant à lui fait appel à « l’être », et à sa manière d’être dans l’exercice de son métier. Dans le secteur médico-social et plus généralement dans les métiers de la relation d’aide, les deux dimensions sont étroitement liées entre elles. Cependant c’est bien dans le volontaire que se situe la plus-value de l’action. L’éthique des personnels doit s’appuyer sur un « volontaire » assumé et repéré, clair pour les parties prenantes que sont les professionnels, les bénéficiaires, les partenaires, les autorités de contrôle et de tarification. C’est bien d’une action d’engagement que va dépendre notre capacité à tenir le cap dans une tempête comme celle que nous traversons.
Et puis il y aura demain, ce demain que tout le monde espère…
Quel regard porterons-nous sur l’humain quand le chercheur aura trouvé un moyen de contenir cette nouvelle tentative de dame nature pour nous rappeler qu’elle et nous sommes liés ?
"Demain ne sera pas comme hier, il sera nouveau et il dépendra de nous. Il est moins à découvrir qu’à inventer "Gaston Berger
Quel regard porterons-nous sur la valeur du « volontaire » de ces métiers qui nourrissent avec humilité et depuis toujours l’humanité de notre démocratie ? Pour construire demain il faut accepter l’incomplétude des réponses apportées, sortir de l’illusion du tout normatif pour être dans le réel du vivant. L’humain n’est pas un produit, et l’on ne travaille pas avec l’humain comme avec un objet manufacturé. Etre dans le réel du vivant, c’est laisser la place à l’incertitude. Il ne faut pas se méprendre et confondre le « zéro sans solution » et le « zéro défaut ». Tenir la position donc, sans pour autant prendre le maquis, et aller de l’avant pour se construire une société, fondée à la fois sur l’attachement de continuité et l’innovation, mais au service des personnes pour et avec lesquelles nous œuvrons dans une dimension sociale.
Voilà l’enjeu des d’ESSMS pour ne pas que s’efface le sens de l’action sociale face à l’injonction de mettre en œuvre des outils de mesure de la performance. Et pour cela nous aurons besoin de tous pour concevoir une éthique de la construction, de l’élaboration. Il nous faut d’ores et déjà rechercher une ouverture ; une « ouverture vertueuse » (JANVIER 2012) qui en donnant à notre action, notre mission une épaisseur politique favorise la confrontation des idées, des visions du vivre ensemble, du faire société.
Nul doute que les années à venir seront complexes, et néanmoins exaltantes…comme toutes aventures humaines.
Retrouvez tous les jours les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.
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