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• TERRAIN - Le travailleur social est-il un militant ?
Par Didier, Gabrielle et Jean-Marc, au nom du collectif « Avenir éducs ».
Cette question du militantisme est sûrement aussi ancienne que le travail social lui-même. Pourquoi ?
Premièrement parce que c’est bien par l’entremise de ses acteurs et de ses institutions que le militantisme est devenu en quelque sorte un principe actif du travail social.
Deuxièmement parce que les travailleurs sociaux, que les décideurs politiques voudraient réduire à de simples « intervenants sociaux », sont placés au cœur de dynamiques sociales et sociétales qui, de la petite enfance jusqu’au grand âge, les amènent à se questionner sur des thèmes aussi essentiels que la prévention, l’éducation, l’exclusion, l’insertion, la solidarité… Bref, sur ce qui fait société. Et ce, non pas de manière purement théorique et rhétorique mais en se coltinant au réel, à partir de leur « clinique », au quotidien, au sein de leurs institutions ; quand ils ont encore la possibilité d’un ancrage institutionnel et qu’ils ne se laissent pas aveugler par les mirages du travail social néo-libéralisé.
Aujourd’hui, au lendemain de la pandémie, un des enjeux fondamentaux auquel sont confrontés les travailleurs sociaux et les étudiants en travail social est l’épreuve de la « distanciation sociale ». Les rencontres avec autrui, sous l’emprise des précautions sanitaires, ne vont-elles pas déboucher sur de nouveaux modèles d’interventions socioéducatives plus digitalisés, bureaucratisés et finalement trop distanciés ? Lorsqu’en période de confinement les normes et procédures habituelles, parfois très pesantes, ont littéralement sauté, les éducateurs, les travailleurs sociaux, les formateurs, quels que soient leurs secteurs, ont œuvré, en faisant souvent preuve d’ingéniosité et d’engagement, pour maintenir un lien social, au-delà des injonctions sanitaires et en veillant à ce que celles-ci ne deviennent à jamais le seul horizon professionnel. Qu’ont-ils fait alors, si ce n’est militer et combattre pour maintenir l’humain au cœur de leur travail, en utilisant certes des machines mais en refusant la tyrannie des process (procédures techniques).
La véritable question qui se pose aujourd’hui aux travailleurs sociaux, révélée de manière inédite par les effets amplificateurs de la crise sanitaire, notamment pour ce qui est des inégalités sociales, est peut- être celle-ci : peuvent-ils encore être militants ?
Oui, à condition de défendre l’engagement relationnel, la rencontre « en présentiel », qui constituent le cœur de leurs métiers. Oui, à condition d’accompagner, de ne pas « gérer » l’autre à distance, de ne pas se laisser enfermer dans la machinerie digitale et bureaucratique. Oui, à condition de résister à la dictature algorithmique et ses solutions technologiques.
Oui, à condition de promouvoir les pratiques réflexives, d’être autorisés au pas de côté, vis-à-vis des normes, des règles et parfois même des lois. Il ne peut y avoir de travail social sans expérimentation, sans créativité, sans prises de risques : à ces conditions, les travailleurs sociaux peuvent être des militants des droits humains des militants des droits créances, mais aussi des militants des droits à désobéir…
Le partage des émotions, la simple présence, la disponibilité de l’être. Voilà ce que les travailleurs sociaux vont pouvoir donner hors des écrans. Accepter de se laisser toucher par l’autre ou bousculer dans ses représentations, accepter la confrontation : faudra-t-il militer pour cela ? Ou simplement considérer que le fait d’être auprès de l’autre est un acte militant en soi ?
Retrouver ce texte dans Lien Social n°1279
Lecteurs à vos plumes pour le numéro spécial "Les voix de la colère"