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• TERRAIN - « Nous ne sommes personne » : Épisode 5 : Virginie*, Responsable d’unité ASE
Tableau de bord d’un service ASE
Ces professionnel(le)s de l’ASE sont investi(e)s dans leur travail
et y croient à la protection de l’enfance.
Mais, la saturation, le découragement, l’épuisement les menacent.
Épisode 5 : Virginie*, Responsable d’unité ASE
C’est vendredi, « la journée de l’ASE » comme le disent tous les services de la Délégation. Je suis R.U.A.S.E, Responsable d’une Unité À bout de Souffle et Épuisée.
Oui, je suis là pour assurer, rassurer, assumer. Depuis un an, je gère l’organisation en période de crise sanitaire. La prime Covid ? Quelle affaire ! Mes équipes n’y ont pas droit. Elles se résignent, nous sommes les invisibles. L’ASE est un gros mot à ne pas prononcer, même nos directions ne nous citent pas dans les discours de remerciement ou de bonne année.
Ce matin je démarre par une audience. Nous avons convenu en équipe que je puisse représenter le service. Le placement est nommé depuis neuf mois, et Tillio* est toujours en gîte d’enfant. C’est le cinquième, tous ont baissé les bras. Il est déscolarisé depuis tout ce temps, bien sûr, car difficile de changer d’établissement toutes les cinq semaines. Nous demandons le renouvellement, dans l’attente, un jour, d’une place en structure de protection de l’Enfance. En salle d’attente, je sors ma troisième main : on me le dit souvent, je ne lâche pas mon portable. Quarante-cinq mails, par demi-journée en moyenne. Tous urgents, bien entendu. Traiter l’urgence, leurs urgences, mes urgences, ce qui fait urgence. Ce mot je n’en peux plus : « C’est urgent, il faut prendre une décision ; c’est urgent, il faut mettre en place les taxis ; c’est urgent, Jordan* est en fugue ; c’est urgent, le gendarme M. veut vous parler ».
J’ai le sentiment désagréable d’être un chéquier, un pompier, plus qu’un manager qui est là pour construire, organiser, fédérer.
Je suis Responsable, garant du respect des textes juridiques et de leurs applications. Mais comment assumer vingt-cinq situations d’enfants dont les mesures ne sont pas ou sont mal exécutées ?
Je ne suis pas décisionnaire de l’ouverture de structures, ni du manque de transport dans le territoire que je gère, et encore moins de la surreprésentation d’Informations préoccupantes sur le secteur.
Je suis Responsable, garant de la continuité et la qualité du service rendu. Mais comment garantir une qualité, quand on ne parle que quantité, statistiques et données chiffrées.
Les médias se délectent des failles institutionnelles. Certes il y en a, mais moi je vois des professionnels investis, passionnés, qui ne veulent pas lâcher ces enfants qui ont déjà trop soufferts.
Oui, je suis le Responsable, mais finalement responsable de plus grand-chose et dans tout ça je finis par être « personne ».