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• TERRAIN - Pandémie de Covid-19, confinement et enfants placés (1)

Les familles d’accueil sont trop souvent négligées, sinon méprisées un peu considérées comme les parents pauvres de la protection de l’enfance. L’occasion de leur donner la parole est suffisamment rare et précieux, pour que Lien Social ouvre son site à leur témoignage.
Une version courte est à retrouver dans la rubrique « Échos du terrain » dans Lien Social n°1281 du 13 octobre 2020

Enfants confiés et confinés, familles d’accueil sous pression (1)


Par trois assistants familiaux (1) et Philippe Godard (2)

Le confinement pour parer à la pandémie du covid-19 n’a pas été vécu de la même manière par tous les Français. L’attention de l’État et des médias s’est peu portée sur les enfants placés – les « enfants confiés » selon la nouvelle terminologie –, qui représentent plus de 175 000 mineurs (3). Pourtant, pour ces enfants qui ont été retirés à leurs parents pour des raisons diverses ou que leurs parents eux-mêmes ont confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance (4), le confinement impliquait non seulement la nécessité de suivre les cours en télé-enseignement comme pour les autres enfants, et celle de résider dans leur maison d’enfants (5) ou chez leur famille d’accueil, c’est-à-dire dans leur lieu de vie habituel, mais aussi l’impossibilité d’avoir des visites avec leurs parents biologiques.

Certes, les parents des enfants placés sont le plus souvent non suffisamment bons, pour reprendre l’expression de Donald Winnicott (6), et parfois même toxiques, ce qui a justifié le placement. Mais l’impossibilité de les voir n’est pas forcément bien vécue par les enfants, y compris ceux pour lesquels les parents représentent un danger. Si la situation des éducateurs dans les foyers a été très difficile, celle des « assistants familiaux », pour reprendre la terminologie désignant les « familles d’accueil » (7) depuis maintenant une quinzaine d’années, a été encore plus complexe.
Cet article, rédigé conjointement par trois assistants familiaux et l’auteur de plusieurs articles et ouvrages de pédagogie, témoigne de notre expérience propre, singulière. Nous ne sommes que trois issus de deux départements, sur plus de quarante mille assistants familiaux ; nous voulons ici parler de ce que nous avons vécu, l’analyser aussi. Les conditions qui ont été et sont encore les nôtres ne représentent pas forcément celle de l’ensemble des assistants familiaux, d’autres services de placement familial ayant des pratiques différentes de ceux auxquels nous avons affaire. Aussi, cet article se donne pour but tout d’abord d’informer sur la réalité de la situation d’une part des familles d’accueil, durant le confinement et en période ordinaire, mais aussi d’ouvrir quelques pistes pédagogiques et institutionnelles afin d’améliorer le placement des enfants, leur suivi éducatif et leur insertion dans la vraie vie adulte, notamment là où les conditions de travail des assistants familiaux sont les plus difficiles, comme pour nous. Nous voulons rompre cette sorte de loi du silence qui règne de nos jours autour du placement familial.

Comment définir ce métier ?

Nous n’avons pas attendu le confinement pour comprendre que le métier d’assistant familial n’était pas compris, ni du grand public, ni – et cela est plus grave – chez les éducateurs qui se trouvent, hiérarchiquement, à l’échelon supérieur, les éducateurs de placement. Nous avons en effet constaté, dans nos départements, lors du confinement, que la plupart des éducateurs référents des enfants placés s’en sont peu préoccupés (8) et n’ont pas semblé comprendre les particularités du confinement pour un enfant placé – les témoignages recueillis vont tous dans ce sens. L’un des buts de cet article est d’expliquer ce qui s’est réellement passé pour nous (9), comment nous l’avons vécu, comment les enfants placés eux-mêmes l’ont vécu et, pourrions-nous dire, nous l’ont fait vivre…
Remontons à l’immédiat après-guerre ; nous étions désignés comme des « nourricières », ce qui avait le mérite de délimiter très précisément le cadre du métier. À l’époque, ces personnes avaient la vocation d’accueillir et de nourrir les enfants qu’elles recevaient dans leur famille, et leurs tâches s’organisaient autour de ce type d’accueil. En 1992, la dénomination changea pour celle de « familles d’accueil » (10). Pour notre part, nous trouvons ce terme juste, car nous étions alors des couples avec enfants, une « famille », donc, qui ouvre ses portes pour accueillir des enfants en grande difficulté. L’implication de la famille était mise en évidence : il s’agit bien – et c’est toujours le fond de notre travail – de former une famille qui accueille un, deux ou trois enfants « supplémentaires », qui ne sont pas issus biologiquement du couple parental. Pourtant, la date de cette transformation – 1992 – ne doit pas faire illusion : dès cette époque, la notion de famille était entrée en crise et vivait des évolutions fondamentales, avec l’augmentation du taux des divorces puis, plus récemment, la possibilité de former un couple homosexuel. La famille traditionnelle a vécu, c’est un fait incontestable (11).
Les institutions ont accompagné cette évolution, y compris dans ses hésitations, voire ses errements éducatifs. Pour prendre un seul exemple technique, en 1997, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité définissait la « parentalité » comme un « ensemble des savoir-être et savoir-faire affectifs, techniques, intellectuels et sociaux que les hommes et les femmes doivent mettre en œuvre pour éduquer les enfants » : le ministère évoque des « hommes » et des « femmes », et non des « pères et mères » ou des « familles ». Dans le même temps, les aides à domicile pour personnes âgées obtinrent la possibilité de passer une validation des acquis de l’expérience et une meilleure reconnaissance professionnelle. Ainsi, nous avions pu noter un début d’intérêt pour les personnes travaillant avec l’humain, mais d’un autre côté, les anciennes formes « traditionnelles » d’organisation pour élever les enfants, à savoir les familles, étaient comme dissoutes et ramenées à la simple juxtaposition d’hommes et de femmes. Comme si la fonction parentale était mise en doute, sans même insister sur l’absence de référence à la famille dans une définition aussi fondamentale d’un concept au succès grandissant comme celui de parentalité.
C’est ainsi qu’en 2005 (12), nous sommes passés à la dénomination d’ « assistant familial ». Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? Notre nomenclature des métiers regorge d’« assistants », surtout des « assistantes » d’ailleurs, reposant ainsi le cadre hiérarchique…, Nous savons que l’« assistante dentaire » assiste le dentiste dans sa tâche, mais l’« assistant familial », lui, n’assiste pas la famille. Nous accueillons l’enfant, voire les enfants, de la famille biologique, et tout se passe comme si nous exercions un métier que la société ne sait pas nommer. Car ce nom d’ « assistants familiaux » ne correspond pas à notre fonction, et cela nous dérange que l’évolution de notre société aboutisse à ne plus savoir nommer des faits aussi fondamentaux, et simples, en réalité, que celui d’accueillir un enfant au cœur d’une famille. Nous le constatons y compris lorsque, suite à une fugue par exemple, nous nous présentons à la gendarmerie ou au commissariat et que, là, personne ne sait ce qu’est un assistant familial…
La formation elle-même entretient cette incompréhension. Nous recevons une formation de 240 heures qui est, chez nous en tout cas, largement inappropriée et inadaptée aux besoins réels. Les cours sur la petite enfance sont trop nombreux, puisque nous sommes presque tous parents de deux ou trois enfants. Pourquoi ne pas aborder les thèmes vraiment intéressants ? Ceux que les formateurs abordent avec les éducatrices et éducateurs spécialisés et les éducatrices de jeunes enfants sont-ils trop complexes pour un diplôme de bas niveau, ce qui supposerait que les assistants familiaux sont eux-mêmes d’un niveau scolaire bas ? La réalité est beaucoup plus complexe que cela, et même si nous ne sommes pas toutes et tous d’accord entre nous, même si les formateurs comme les familles d’accueil perçoivent bien des différences de positionnement éthique et professionnel, il n’empêche que cette formation devrait avoir pour but de créer une éthique chez les professionnels qui n’en manifestent pas toujours, et d’élever le niveau d’exigence de l’ensemble de la profession, en termes d’éthique là encore, et aussi de pédagogie, de déontologie et de capacité à faire valoir l’intérêt de l’enfant lorsqu’il fait face aux institutions (13).

(1) Qui souhaitent rester anonymes par crainte de représailles et de perdre leur travail.

(2) Ancien formateur occasionnel dans un institut régional de travail social, auteur de livres documentaires pour la jeunesse, ainsi que de Graines de futur (Arbois, Cet Atelier, là, 2020), sur une maison d’enfants à caractère social, et de l’essai Pédagogie pour des temps difficiles. Cultiver des liens qui nous libèrent (Montréal, éditions Écosociété, à paraître en janvier 2021).

(3) Voir <drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG...> .

(4) Parfois appelée dans certains départements « Pôle Enfants Confiés ».

(5) MECS : Maisons d’Enfants à Caractère Social.

(6) Donald Winnicott, La famille suffisamment bonne, éditions Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2014 (textes revus par Winnicott en 1965).

(7) Le terme d’assistant familial est celui qui est utilisé officiellement, mais il ne parle pas au grand public. Celui de famille d’accueil (qui a plus de sens par ailleurs) est plus compréhensible, et c’est donc celui-ci que nous utiliserons de préférence ici.

(8) En tant que formateur d’assistants familiaux, Philippe Godard a reçu, pendant le confinement, des dizaines de messages de familles d’accueil affirmant tous que les éducateurs référents des enfants avaient, dans le meilleur des cas, pris deux ou trois fois des nouvelles des enfants placés, et qu’ils n’avaient proposé comme seules solutions, pour soulager les familles d’accueil de la pression que le confinement créait, que de l’occupationnel, surtout à travers des jeux vidéo ou des sites webVoir <insee.fr/fr/statistiques/4285341> .

(9) Dans cet article, le « nous » signifiera les trois « familles d’accueil » que nous sommes, en espérant que les autres assistants familiaux qui se reconnaîtront dans nos descriptions et analyses le feront savoir – précisons encore une fois que Ph. Godard n’est pas assistant familial

(10) Voir <cairn.info/revue-spirale-2001-2-pag...> .

(11) Voir <insee.fr/fr/statistiques/4285341>

(12)Voir <legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?c...>

(13) Par « institutions », nous entendons ici non seulement les institutions du social et du médico-social, mais aussi l’école, à tous les niveaux, car la vie de l’enfant placé à l’école n’est pas un long fleuve tranquille, et hélas, c’est l’institution elle-même qui met souvent des bâtons dans les roues aux enfants différents. Voir à ce sujet le rapport du Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO) de 2016, sur les inégalités sociales et migratoires, sous-titré Comment l’école amplifie-t-elle les inégalités ?, sur <www.cnesco.fr/wp-content/uploads/20...>

Suite demain (2) « Comment les enfants placés ont vécu ce confinement ? »