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• TERRAIN - Pandémie de Covid-19, confinement et enfants placés (3)

Les familles d’accueil sont trop souvent négligées, sinon méprisées un peu considérées comme les parents pauvres de la protection de l’enfance. L’occasion de leur donner la parole est suffisamment rare et précieux, pour que Lien Social ouvre son site à leur témoignage. Une version courte est à retrouver dans la rubrique « Echos du terrain » dans Lien Social n°1281 du 13 octobre 2020.

Enfants confiés et confinés, familles d’accueil sous pression (3)
- Qui sont les enfants que l’on nous confie ?

Par trois assistants familiaux (1) et Philippe Godard (2),

Le confinement a mis en évidence, cette fois sans fard, que les familles d’accueil ne sont pas prises en compte dans les projets éducatifs et plus largement les projets de vie des enfants qu’elles accueillent, dans certains départements tout du moins. En effet, durant ces deux mois du printemps 2020, « nos » institutions ne sont pas intervenues pour soutenir les familles d’accueil. Très vraisemblablement, le fait que les assistants familiaux soient considérés comme des professionnels, mais d’un rang inférieur dans l’échelle du travail social – le diplôme est au niveau V, soit quasiment le plus bas dans la hiérarchie européenne – amène les référents des dossiers – qui sont titulaires d’un diplôme de niveau II selon la même hiérarchie – à négliger les avis des subalternes. Nous, les familles d’accueil, sommes pourtant celles et ceux qui vivent jour après jour avec les enfants, et plus encore : c’est bien à nous qu’est confiée la très lourde tâche d’éduquer ces enfants placés.
Car, et il faut insister sur ce point, le placement d’un enfant ne simplifie pas sa situation. Elle est complexe au départ, avec des parents toxiques, maltraitants ou absent, en tout cas « non suffisamment bons », ce qui justifie le placement. Mais, contrairement à d’autres personnes qui se trouvent également en marge de la norme, ces enfants n’ont pas choisi leur situation : ils en héritent. Leur situation résulte d’une carence de leurs parents, d’une équipe éducative, de la société, mais pas d’un choix personnel. Et les enfants placés doivent avancer dans leur vie avec ce fardeau. Ils n’ont pas été retirés à leur famille « pour rien », ce ne sont pas des orphelins tels qu’on peut se les imaginer, tout droit sortis de l’univers hugolien des Misérables. Ce sont des enfants qui, pour la majorité d’entre eux, sont « détruits » ou très abîmés, « cabossés » comme le disait avec sympathie le directeur d’un foyer, et souvent en « totale rupture de tout », selon les termes d’un assistant familial. Nous voulons ici rappeler ce point avant toute chose : la quasi-totalité des enfants placés sont des enfants déprivés (3), privés des liens d’attachement sains avec leurs parents, liens qui sont pourtant la base et la condition nécessaire de toute construction d’une personnalité humaine, au moins durant la période de la petite enfance et de l’enfance, voire jusqu’à l’adolescence et au-delà dans certains cas.
Nous n’avons pas pour ambition de tracer ici une nomenclature des enfants placés en familles d’accueil, mais nous insistons sur deux faits, qui nous semblent cruciaux. Tout d’abord, les enfants placés sont, de plus en plus, « porteurs » comme l’on dit de troubles associés de caractère comportemental ou psychologique. Ensuite, lorsque ces enfants difficiles nous sont confiés, les services auxquels nous avons affaire pour notre part ne tiennent aucun compte de notre disposition d’éducateur à assumer notre rôle plutôt avec des tout-petits, ou de jeunes enfants, ou des adolescents. Au nom d’une prétendue égalité entre les enfants, c’est notre capacité éducative qui est niée d’une façon sournoise : l’institution nous déclare capables de tout avec tous, alors qu’elle nous fait savoir, à chaque fois que l’occasion s’en présente, que nous ne sommes pas si « capables » que nous le prétendons…
Nous n’avons jamais considéré l’Aide sociale à l’enfance comme un « catalogue d’enfants », mais nous souhaitons cependant, pour l’immense majorité d’entre nous, faire valoir nos prédispositions à éduquer les enfants de telle ou telle tranche d’âge. D’ailleurs, dans les maisons d’enfants à caractère social qui en accueillent un nombre important, les groupes d’enfants sont formés en fonction des tranches d’âge, et les tout-petits ne sont pas mêlés aux plus grands ; il est incompréhensible que nous ne puissions pas, non pas « choisir » un enfant sur un catalogue, mais bien faire valoir nos compétences plus particulières autour de telle tranche d’âge, voire telle pathologie.
Ainsi, l’une d’entre nous affirme : « Au fil des années, j’ai accueilli beaucoup d’enfants de tout âge, même un bébé né sous le secret ; aujourd’hui je me sens bien avec les ados et actuellement j’accueille trois garçons, un âgé de quinze ans et demi (depuis douze ans), un de seize ans depuis trois ans, et le troisième âgé de dix-sept ans (depuis quelques mois). »
Cette question du « choix » des enfants n’a rien à voir avec une volonté de sélectionner ; elle n’est que la reconnaissance, par nous-mêmes, de nos propres capacités, et il se trouve qu’en fonction de notre âge, de notre situation familiale, de nos compétences particulières, nous ressentons une meilleure capacité à travailler à l’éducation d’enfants situés dans telle ou telle tranche d’âge.
D’ailleurs, cette réalité est reconnue également par l’ensemble du travail social, puisqu’il existe des éducateurs et éducatrices – pour leur immense majorité – de jeunes enfants, et que les éducateurs spécialisés ou les moniteurs éducateurs ne se retrouvent jamais dans des crèches ou des multi-accueils. C’est donc que, de toute évidence, il est d’ores et déjà reconnu et incontesté que l’éducateur peut ressentir en lui une meilleure capacité à travailler selon l’âge des enfants qui lui sont confiés.

De plus, nous pensons que la société devrait mieux évaluer et comprendre ce qu’elle produit comme particularités. Les indicateurs nous semblent évoluer vers des zones de plus en plus dangereuses. Le nombre d’élèves décrocheurs est élevé, et le confinement l’a fait monter jusqu’à 10 % selon le chiffre officiel donné par l’Éducation nationale (18), mais selon d’autres sources, le chiffre est de 20 % et même 30 % en éducation prioritaire (19). Ce chiffre met en évidence la nécessité d’une socialisation concrète, et non virtuelle. Les agressions verbales, la violence, les problèmes de comportement sont eux aussi en hausse, mais, dans un souci de ne pas stigmatiser les jeunes qu’on nous confie, la règle suivie chez nous consiste à ne pas nous en parler au préalable.
C’est ainsi que des assistants familiaux se retrouvent avec des jeunes qui sont aux prises avec des problèmes très graves, au niveau comportemental, sexuel, d’addiction à une ou des drogues, de délinquance pour certains… Il est extrêmement difficile d’affirmer, preuves statistiques à l’appui, que les jeunes qui sont placés dans des familles sont plus « complexes » et davantage en difficultés sociales du fait de leur comportement que l’ensemble des jeunes, car de telles statistiques n’existent pas, à notre connaissance tout du moins. Mais un formateur pourra aisément constater, sur une cohorte d’une centaine de familles d’accueil et en détaillant les enfants qui leur sont confiés et dont ces familles lui parlent, que les taux d’enfants aux problématiques diverses sont élevés, problématiques qui se surajoutent bien sûr au défi du placement lui-même. Le but de toute entreprise éducative étant d’éviter le rejet, la marginalisation et la détresse, nous aimerions, en tant qu’éducateurs, que les problèmes auxquels nous faisons face soient mieux évalués, et que notre parole d’éducateurs en contact direct avec les enfants et les jeunes soit prise en compte.

C’est pourquoi nous proposons à la suite quelques voies pour améliorer, réformer, modifier, restructurer la prise en charge des enfants et des jeunes, et reconsidérer le travail des familles d’accueil.

(1) Qui souhaitent rester anonymes par crainte de représailles et de perdre leur travail.

(2) Ancien formateur occasionnel dans un institut régional de travail social, auteur de livres documentaires pour la jeunesse, ainsi que de Graines de futur (Arbois, Cet Atelier, là, 2020), sur une maison d’enfants à caractère social, et de l’essai Pédagogie pour des temps difficiles. Cultiver des liens qui nous libèrent (Montréal, éditions Écosociété, à paraître en janvier 2021).

(3) Pour reprendre ici le terme de Donald Winnicott.
(4) Selon une audition de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, à l’Assemblée nationale le 6 juin 2020.

(5) Voir le site Educavox, enquête sur le confinement : < https://www.educavox.fr/toutes-les-breves/enquete-confinement-et-decrochage-scolaire>.

Suite demain (4) : « Améliorer le suivi des enfants placés »