L’ActualitĂ© de Lien Social RSS


🎥 FILM ‱ LaĂ«titia (1)

Ce qu’un Ă©ducateur peut dire, aprĂšs avoir regardĂ© la sĂ©rie de Jean-Xavier de Lestrade sur France 2.

Deux lundis de suite (les 21 et 28 septembre), France 2 a programmĂ© en premiĂšre partie de soirĂ©e six Ă©pisodes d’une mini-sĂ©rie consacrĂ©e Ă  l’affaire LaĂ«titia . Ce fait divers, qui remonte Ă  janvier 2011, bouscula tant la protection de l’enfance que le systĂšme judiciaire, l’opinion publique que la classe politique. Cette jeune adulte, placĂ©e avec sa sƓur jumelle dans la mĂȘme famille d’accueil depuis ses treize ans, est alors victime d’un crime particuliĂšrement glauque : violĂ©e, tuĂ©e, puis dĂ©membrĂ©e par Tony Meilhon, elle fut jetĂ©e au fond de deux Ă©tangs distincts. Cette horreur ne se suffisant pas Ă  elle-mĂȘme, vint se rajouter la rĂ©vĂ©lation ultĂ©rieure de l’agression sexuelle que Jessica, la sƓur de LaĂ«titia, avait subie de la part de Gilles Patron, l’assistant familial chez qui elle Ă©tait placĂ©e.

De cette affaire, Jean-Xavier de Lestrade nous en propose un rĂ©cit nuancĂ©, alternant le dĂ©roulement de l’enquĂȘte avec des retours en arriĂšre sur le cheminement des principaux protagonistes du drame. Le rĂ©alisateur a fait le choix de ne pas donner dans le pathos, ni le gore mais de dĂ©crire avec fidĂ©litĂ©, pudeur et distance le dĂ©roulement des faits, en dressant des portraits d’une grande pertinence.

L’éclairage des personnalitĂ©s

Les troubles de la personnalitĂ© de Tony Meilhon, encore aggravĂ©s par une toxicomanie envahissante, sont d’un rĂ©alisme particuliĂšrement cru. L’acteur qui interprĂšte ce malĂ©fique personnage reproduit des postures et des expressions hallucinantes, avec une authenticitĂ© glaçante. Sa premiĂšre apparition Ă  l’écran donne le sentiment d’une terrifiante monstruositĂ©. Le retour sur son enfance montre un ĂȘtre trĂšs tĂŽt cabossĂ©, comme pris dans un engrenage infernal, passant instantanĂ©ment de la bienveillance Ă  des actes psychopathes. Le spectateur pourra s’étonner qu’on ait pu laisser un tel individu agir librement. Les services sociaux, mais aussi psychiatriques en croisent rĂ©guliĂšrement de ces profils potentiellement violents. Ce qui est Ă©tonnant, ce n’est pas qu’ils passent parfois Ă  l’acte
 mais qu’ils ne le fassent pas plus souvent ! Les accompagner et les soutenir serait possible, non pour garantir le risque zĂ©ro, mais pour tenter de les canaliser. Encore faudrait-il que 20 % des postes de psychiatres censĂ©s soigner ces patients souffrant de troubles mentaux ne soient pas dĂ©pourvus et que leurs services ne soient pas assĂ©chĂ©s par des Ă©conomies budgĂ©taires. Il en va de mĂȘme pour les Services PĂ©nitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP) chargĂ©s du suivi des condamnations avec sursis et mises Ă  l’épreuve (ce qui Ă©tait le cas pour Tony Meilhon). Il serait pertinent que chaque professionnel qui y travaille ne ploie pas sous le poids de 150 dossiers Ă  suivre !

L’immaturitĂ© du pĂšre des deux jumelles crĂšve l’écran. L’amour infini de Franck Perrais pour ses filles n’a d’égal que ses immenses difficultĂ©s Ă  exercer sa fonction parentale. Sa volontĂ© de bien faire est impressionnante. Mais, son impuissance Ă  y arriver l’est tout autant. En un temps oĂč l’on met facilement en avant la nĂ©cessitĂ© de dĂ©velopper le potentiel des familles, il est judicieux de montrer ce que les professionnels de la protection de l’enfance rencontrent au quotidien : des hommes et des femmes qui progressent dans leurs compĂ©tences Ă  faire grandir leur enfant, mais aussi d’autres qui sont dans une incapacitĂ© permanente Ă  se comporter d’une façon responsable et mature, malgrĂ© tous les efforts pour les y aider.

Chez LaĂ«titia, ce qui frappe, c’est la joie de vivre et la spontanĂ©itĂ©, l’ingĂ©nuitĂ© et l’envie de mordre Ă  pleines dents la vie qui s’ouvre Ă  elle. Les gros plans sur son visage Ă©clatant de plaisir sont en dĂ©calage avec le drame qui se vit en elle et qui l’amĂšnera Ă  prendre tous les risques. Les Ă©pisodes de vie des jumelles qui s’égrĂšnent tout au long de la sĂ©rie permettent de mesurer les Ă©preuves qu’elles ont endurĂ©es. L’intervention de la protection de l’enfance, ne leur a pas permis une triple peine. Des parents trop en difficultĂ© eux-mĂȘmes pour s’occuper d’elles sereinement. Un prĂ©dateur qui se cache derriĂšre un assistant familial qui devait les protĂ©ger et non en faire sa proie. Un Ă©corchĂ© de la vie qui se transforme en tortionnaire.

Jessica, quant Ă  elle, se sacrifie en devenant l’objet sexuel de Gilles Patron. Son attente d’affection, sa demande d’adoption et sa quĂȘte d’affiliation peuvent en partie expliquer sa soumission. Sa rĂ©signation et sa docilitĂ© face Ă  son agresseur sont d’autant moins Ă©tonnantes que ce sont ces mĂȘmes postures qui lui ont permis de survivre toute son existence. Les enfants victimes n’ont guĂšre de solutions face aux Ă©preuves qu’ils subissent : Ă  cĂŽtĂ© de la demande de protection qu’on attend d’eux, on trouve trĂšs souvent l’hĂ©tĂ©ro-agression (violence dirigĂ©e vers autrui sous forme de dĂ©linquance, de brutalitĂ©, de colĂšre
), l’auto-agression (dĂ©pression, scarification, boulimie, anorexie
) ou encore l’effacement et la renonciation Ă  se dĂ©fendre. Tous ces traits de caractĂšre n’induisent pas un passĂ© traumatique, mais un passĂ© traumatique peut entraĂźner ces traits de caractĂšre. Jessica n’a cessĂ© de subir passivement ce qui lui arrivait, comme le montrent trĂšs bien les scĂšnes de la fiction retraçant le cheminement de son enfance.

Ce qui marque dans le portrait des magistrats et des enquĂȘteurs, c’est bien le calme et la maĂźtrise dont ils font preuve. Et c’est justement cette attitude qui leur permet de gĂ©rer cette affaire avec mĂ©thode et sang-froid. Leur Ă©motion est Ă  fleur de peau. Mais, ils se doivent de ne pas craquer pour aller au bout de leur mission. Ils y parviennent, malgrĂ© la tempĂȘte mĂ©diatique et politique qui les cerne. On est loin de l’hystĂ©rie qui va commencer Ă  se dĂ©ployer autour d’eux.

Car, face Ă  la charge Ă©motionnelle qui gagne progressivement le spectateur, il n’y a finalement que deux rĂ©actions qui, par leur exaltation, tranche avec la dignitĂ© qui traverse cette fiction : celles de Gilles Patron et du PrĂ©sident Sarkozy. Le premier, assistant familial autoritaire et dominateur, s’en prend publiquement Ă  la justice accusĂ©e de laxisme et pourfend les dĂ©linquants sexuels pour qui il rĂ©clame le rĂ©tablissement de la peine de mort. Le second promet de sanctionner les magistrats qui n’ont pas su deviner ce qu’allait commettre Tony Meilhon : ils auraient dĂ» savoir qu’en le libĂ©rant, il assassinerait quelqu’un.
Gilles Patron sera condamnĂ© Ă  8 ans d’incarcĂ©ration, le 28 mars 2014, pour les viols rĂ©pĂ©tĂ©s sur Jessica. Nicolas Sarkozy, quant Ă  lui, est en attente de deux procĂšs ; il est mis en examen dans deux procĂ©dures ; il a cumulĂ© six autres implications (pour trois d’entre elles, il a bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un non-lieu). Belle indignation que celles de ces « prĂ©sumĂ©s coupables », pour reprendre l’expression employĂ©e pour dĂ©signer le meurtrier, par Nicolas Sarkozy, ancien avocat ayant oubliĂ© les fondamentaux de ses cours de droit (tant qu’on n’a pas Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© coupable par un tribunal, on est rĂ©putĂ© innocent !). Gilles Patron, qui en appelait Ă  plus de sĂ©vĂ©ritĂ©, devrait apprĂ©cier de sortir un jour de prison, sans qu’on lui refuse sa libĂ©ration par crainte d’une rĂ©cidive. Quant Ă  Nicolas Sarkozy, son sort dĂ©pend de ces juges qu’il a toujours trouvĂ©s trop permissifs : suivant ses conseils, ce serait justice qu’ils ne le soient pas avec lui.

Jacques Trémintin

(suite lundi matin LaĂ«titia (2) « du cĂŽtĂ© des professionnels »)

À voir :
‱ La critique du livre d’Ivan Jablonka qui a inspirĂ© le scĂ©nario
‱ La bande annonce
‱ Le replay des six Ă©pisodes de LaĂ«titia