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🎥 FILM âą LaĂ«titia (2)
Ce quâun Ă©ducateur peut dire, aprĂšs avoir regardĂ© la sĂ©rie de Jean-Xavier de Lestrade sur France 2.
Du cÎté des professionnels
Quâen est-il de la reprĂ©sentation de la protection de lâenfance dans la fiction faisant le rĂ©cit du viol, meurtre et dĂ©peçage de LaĂ«titia Perrais vivant en famille dâaccueil en Loire atlantique ? Câest, sans doute, son angle mort, son scĂ©nario se montrant bien plus erratique.
On voit apparaĂźtre la mĂȘme travailleuse sociale tout au long des six Ă©pisodes. Celle-ci semble exercer son mĂ©tier Ă tous les postes. Elle commence par assurer une mesure dâAide Ă©ducative en milieu ouvert, puis de rĂ©fĂ©rente ASE et enfin dâĂ©ducatrice du foyer « La Providence » : peu dâintervenants ont ainsi ce don dâubiquitĂ© leur permettant dâĂȘtre partout, mĂȘme successivement ! Au passage, dâailleurs, elle change de nom : Madame Paillard dans les quatre premiers Ă©pisodes et Madame Prieur, dans les deux derniers. Par trois fois, elle sâentretient avec le gendarme responsable de lâenquĂȘte. En soi, rien dâĂ©tonnant quâelle soit convoquĂ©e. Ce qui lâest plus, câest quâĂ chaque fois, cela se passe dans une salle de restaurant autour dâune table dotĂ©e dâune belle nappe blanche ! Alors, quâelle a derriĂšre elle toute une Ă©quipe, elle apparaĂźt bien seule. Et la premiĂšre fois oĂč elle rend visite Ă Jessica, aprĂšs la disparition de LaĂ«titia (dans le second Ă©pisode), câest en soirĂ©e, en affirmant dâemblĂ©e que ce nâest pas trĂšs professionnel de passer si tard (!), comme si elle nâavait pas trouvĂ© le temps de le faire dans la journĂ©e. ConcĂ©dons, toutefois, que le fonctionnement de Gilles Patron, vĂ©ritable Ă©lectron libre, prenant seul lâinitiative de parler aux journalistes, dâintervenir dans la manifestation des magistrats ou de rencontrer le PrĂ©sident de la RĂ©publique dĂ©montre combien le Conseil dĂ©partemental, son employeur, a brillĂ© alors par son absence et son laxisme.
Tous ces détails semblent montrer une ignorance du fonctionnement de ces services, compensée par des improvisations assez hasardeuses du scénario.
Se pose, toutefois, la question : comment est-il possible que cette professionnelle, engagĂ©e depuis longtemps dans la protection de lâenfance, ne se soit rendu compte de rien ? La fiction Ă©voque les atteintes sexuelles dont se rend coupable Gilles Patron sur une amie des jumelles. Ce dernier est entendu Ă ce propos par la gendarmerie et reçu par lâASE. Les protestations vĂ©hĂ©mentes quâil profĂšre et lâabsence de tĂ©moin bloque toute procĂ©dure : câest lâĂ©ternelle confrontation de la parole de lâadulte contre celle de lâenfant. LâĂ©change entre la travailleuse sociale et les deux sĆurs, que dĂ©crit bien la fiction, ne permet pas dâĂ©tayer le soupçon, Jessica et LaĂ«titia niant tout geste dĂ©placĂ©. Difficile dâaller plus loin, dans de telles conditions.
Mais, un autre Ă©lĂ©ment permet peut-ĂȘtre de comprendre la situation. LâĂ©quipe ASE du sud Loire avait, quelques annĂ©es auparavant, retirĂ© une adolescente dâune autre famille dâaccueil sur laquelle pesait une suspicion identique. InformĂ© par un article de presse, le PrĂ©sident du Conseil gĂ©nĂ©ral avait fait annuler cette dĂ©cision, sans consulter au prĂ©alable ses services ne serait-ce que pour en vĂ©rifier le bienfondĂ©. Il avait mĂȘme voulu sanctionner lâInspecteur Ă lâenfance en charge du dossier, prĂ©textant une faute professionnelle : celui-ci avait, sans rentrer dans les dĂ©tails, rĂ©pondu au journaliste qui lâinterrogeait que sa dĂ©cision Ă©tait mĂ»rement rĂ©flĂ©chie. En posant un acte impulsif et douteux, un pouvoir politique loin du terrain invalidait brutalement lâĂ©valuation de professionnels aguerris. Constatons quâun Conseil dĂ©partemental veut, dâun cĂŽtĂ© sanctionner lâun de ses cadres pour une dĂ©claration anodine et, de lâautre, laisse lâagent contractuel Gilles Patron, placĂ© sous son autoritĂ©, prendre seul lâinitiative de parler aux journalistes, dâintervenir dans la manifestation des magistrats ou de rencontrer le PrĂ©sident de la RĂ©publique ⊠en vĂ©ritable Ă©lectron libre. Y a-t-il une simple corrĂ©lation ou un vrai rapport de cause Ă effets entre ce dĂ©saveu humiliant et, quelques annĂ©es plus tard, la difficultĂ© Ă dĂ©cider de retirer Jessica et LaĂ«titia de la famille dâaccueil Patron, alors que les deux jeunes-filles niaient avoir subi la moindre agression et que le mĂȘme PrĂ©sident Ă©tait encore en poste (son successeur sera Ă©lu fin mars 2011) ? La question reste posĂ©e !
A dĂ©faut dâavoir pu entrer plus avant dans les (dys)fonctionnements des services sociaux qui sont restĂ©s, lĂ comme toujours, mutiques, il est difficile de reprocher au rĂ©alisateur dâĂȘtre restĂ© approximatif Ă leur propos.
Ces quelques rĂ©serves une fois Ă©mises quant au rĂŽle de lâASE, il reste une peinture sociĂ©tale dâune grande finesse et dâune grande sensibilitĂ©.
Ăpilogue
Quelles leçons est-il possible de retirer de ce terrible fait divers ?
Retenons-en trois.
La premiĂšre incite Ă ne pas tomber dans le biais de gĂ©nĂ©ralisation : lâimmense majoritĂ© des 300 000 enfants pris en charge par la protection de lâenfance ne subissent pas une telle destinĂ©e. Lâimmense majoritĂ© des assistants familiaux font excellemment leur travail. Lâimmense majoritĂ© des situations dâagression sexuelle quâelles soient intra-familiales ou intra-institutionnelles sont gĂ©rĂ©es avec diligence, rĂ©activitĂ© et efficacitĂ©. Lâimmense majoritĂ© des adultes ayant vu leur enfance broyĂ©e ne deviennent pas des Tony Meilhon. Il Ă©tait important de donner un coup de projecteur sur cette sordide affaire. Mais, de la mĂȘme façon que lâon parle rarement des trains qui arrivent Ă lâheure, il est peu frĂ©quent que lâon fasse le rĂ©cit du cheminement de celles et ceux qui sâen sortent, rĂ©servant les feux des projecteurs au Ă©checs.
Le second enseignement tient dans les modalitĂ©s dâorganisation des services de lâASE : demander Ă chacun de ses professionnels de suivre entre 30 et 35 situations dâenfants placĂ©s en famille dâaccueil ne leur permet pas dâĂȘtre dans la proximitĂ© susceptible de dĂ©tecter facilement un malaise ou un dĂ©rapage potentiel. Si lâon veut favoriser une plus grande vigilance, il faut aussi faire en sorte que les familles dâaccueil se sentent (et soient) moins seules.
Enfin, le risque zĂ©ro ne pourra jamais ĂȘtre atteint. Il existera toujours des prĂ©dateurs susceptibles de se glisser dans les services au contact avec des enfants, sans quâils soient systĂ©matiquement dĂ©tectĂ©s, voire dĂ©tectables. Cela peut se passer dans les Ă©coles, dans les clubs sportifs, dans les centres aĂ©rĂ©s, dans les institutions religieuses ⊠mais aussi dans les services de protection de lâenfance. Il y aura toujours des enfants privĂ©s dâaffection, attentifs Ă celle quâon leur propose ou qui ont intĂ©grĂ© la passivitĂ© et lâinertie comme mode de survie ou encore qui sont terrorisĂ©s et paralysĂ©s face aux agressions subies. Des dĂ©rapages, des crimes seront toujours le produit de la rencontre des uns et des autres. Ce constat nâa pour objectif ni de se rĂ©signer, ni de minimiser. Bien entendu quâil faut se montrer vigilant et proactif. Ce comportement permettra de prĂ©venir beaucoup de situations Ă risque. Pour autant, si on ne doit pas se rĂ©fugier dans lâimpuissance, il est parfaitement illusoire de prĂ©tendre pouvoir toujours Ă©viter de tels drames.
Jacques Trémintin
Ă voir :
âą La critique du livre dâIvan Jablonka qui a inspirĂ© le scĂ©nario
âą La bande annonce
⹠Le replay des six épisodes de Laëtitia