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🖋 Autoportrait de travailleur social âą Tristan Montaclair-Le Foulgoc, Ă©ducateur de jeunes enfants qui travaille avec des adolescents
« L’essentiel est d’avoir accĂšs Ă l’autre et de donner accĂšs Ă soi »
Quel mot, adjectif, associez-vous spontanément au travail social ?
Pour moi, le travail social, c’est de la rencontre, c’est le prĂ©alable Ă tout. C’est pour moi le plus grand plaisir, rencontrer des jeunes, des parents, des familles. Sans rencontre, il n’y a rien de possible. Il faut prendre ce temps-lĂ , en respectant les rythmes de chacun, dans la parole ou le silence, peu importe. L’essentiel est d’avoir accĂšs Ă l’autre et de donner accĂšs Ă soi. C’est Ă mon sens le meilleur moyen de dĂ©velopper par la suite une relation authentique qui permette Ă chacun d’ĂȘtre soi.
Pour quelles raisons avez-vous choisi votre métier ?
J’avais longuement hĂ©sitĂ© avec la formation d’Ă©ducateur spĂ©cialisĂ© mais j’avais envie de dĂ©couvrir le dĂ©veloppement du jeune enfant, dĂ©cisif pour la construction de l’adolescent et de l’adulte. Il s’est aussi avĂ©rĂ© que j’avais peur du milieu spĂ©cialisĂ© qui finalement est le chemin sur lequel je m’Ă©panouis. J’avais peur de ce monde, peur de ne pas ĂȘtre Ă la hauteur psychiquement, de ne pas pouvoir laisser tout ça Ă la porte de chez moi. Finalement, on est souvent capable des choses qu’on croit insurmontables.
Quelle formation avez-vous suivie ?
J’ai commencĂ© par un BEP CarriĂšres sanitaires et sociales, une rĂ©vĂ©lation. Puis j’ai travaillĂ©. Je suis allĂ© en formation d’Ă©ducateur de jeunes enfants (EJE) un peu plus tard donc. J’y ai appris Ă Ă©crire et j’ai dĂ©veloppĂ© le goĂ»t d’apprendre, ce qui m’a poussĂ© Ă continuer en Master Sciences de l’Ă©ducation mais traitant de questions sociales. C’Ă©tait un peu un bonus passionnant et qui m’a fait grandir.
Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?
Je crois que mon meilleur souvenir est un fabuleux sĂ©jour que j’ai fait avec des jeunes de la maison dâenfants Ă caractĂšre social (MECS) dans laquelle je travaillais. L’Ă©quipe Ă©tait formidable et les jeunes aussi. C’Ă©tait une semaine en Normandie. Tout y Ă©tait fluide et extrĂȘmement chaleureux. Les jeunes semblaient prendre beaucoup de plaisir Ă ĂȘtre lĂ tous ensemble. Le soir nous faisions de grandes tablĂ©es familiales oĂč tout le monde Ă©changeait, des plus jeunes au plus grands. C’Ă©tait de vrais moments de rencontre justement. Et il y avait ce terrain de foot Ă cĂŽtĂ© oĂč nous passions nos fins de journĂ©e en attendant que le soleil se cache Ă l’horizon. Tout le monde Ă©tait passionnĂ© par ces matchs improvisĂ©s. Il y a eu de sacrĂ©s moments de joie et de grandes disputes. Mais encore des moments de rencontre (parfois rugueux), de partage.
Le pire ?
Le pire, c’est peut-ĂȘtre la crise d’un jeune de 11 ans. Il Ă©tait extrĂȘmement en colĂšre et n’arrĂȘtait pas d’insulter tout le foyer Ă travers la porte de sa chambre. J’Ă©tais au tĂ©lĂ©phone avec une mĂšre qui entendait certainement tout et j’Ă©tais assez gĂȘnĂ©. Une fois que jâai eu raccrochĂ©, je suis allĂ©e voir ce jeune pour lui demander d’arrĂȘter et il me met un coup de poing au visage. J’Ă©tais dĂ©contenancĂ© et j’avais la lĂšvre en sang. Je pense que j’avais envie de pleurer sur le coup parce qu’une limite avait Ă©tĂ© franchie dans notre relation. Mais cela m’a permis de rĂ©flĂ©chir et de travailler avec ce qu’il s’Ă©tait passĂ©. La question de la violence en MECS est un vrai sujet Ă traiter institutionnellement mais aussi individuellement et intĂ©rieurement. Chaque Ă©ducateur doit je pense questionner son rapport Ă la violence s’il est confrontĂ© Ă cette derniĂšre. On ne peut pas se permettre l’Ă©conomie d’un travail introspectif sur ce type de question, de problĂ©matique. Et puis en y repensant, j’Ă©tais assez impressionnĂ© par sa force et son courage mine de rien, je n’aurai jamais osĂ© Ă son Ăąge !
Quel est votre livre de chevet ?
Je ne pense pas ĂȘtre trĂšs original en parlant de Graine de crapule de Fernand Deligny (Ăd. Michon, 1945), pour moi une bible de l’Ă©ducateur. Il a eu une influence majeure dans mon travail et je m’y rĂ©fĂšre souvent pour tenter de garder ce sens du « pas de cĂŽtĂ© ». J’ai dĂ©couvert ce pĂ©dagogue en formation et depuis, j’essaie de lire ou voir tout ce qui se rapporte Ă lui, mĂȘme si je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’il a pu dire ou penser. Mais c’est un homme qui fait rĂ©flĂ©chir, qui bouscule, qui pousse Ă sortir d’une pensĂ©e facile, de domination. Et ce livre en est la plus grande preuve. Sur la question de la rencontre et du rĂŽle que peut jouer l’Ă©ducateur, il a Ă©crit une superbe phrase - je la vois comme un psaume - : « Si tu joues au policier, ils joueront aux bandits. Si tu joues au bon dieu, ils joueront aux diables. Si tu joues au geĂŽlier, ils joueront aux prisonniers. Si tu es toi-mĂȘme, ils seront bien embĂȘtĂ©s. »
Retrouvez les précédents autoportraits
🖋 Thierry Trontin, co-gĂ©rant de la SCOP Voyageurs-Ăducateurs et dâun lieu de vie et dâaccueil
🖋 Laurence, rĂ©fĂ©rente de parcours du Programme de rĂ©ussite Ă©ducative
🖋 Romain Dutter, ex-coordinateur culturel au centre pĂ©nitentiaire de Fresnes
🖋 Yazid Kherfi, mĂ©diateur tout terrain
🖋 Claude, assistante de service social en polyvalence de secteur
🖋 Florent GuĂ©guen, directeur de la FĂ©dĂ©ration des acteurs de la solidaritĂ© (FAS)
🖋 Sadek Deghima, chef de service dâun club de prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e
🖋 Lucile Bourgain, monitrice-Ă©ducatrice
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