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■ ACTU - Un éducateur se suicide sur son lieu de travail
Le 13 juin, Luc Montalbano se donne la mort dans le bureau de l’accueil de jour du foyer dans lequel il exerce depuis 32 ans. Dans un mail testamentaire, il justifie son geste par un épuisement en lien avec le harcèlement de sa direction. Trois ans plus tôt, Éric Chaveneau, un autre éducateur de cet établissement se suicidait dans un bois voisin, lui aussi par arme à feu. Justice pour Luc, un collectif souhaite se battre pour que les circonstances de ce drame soient révélées.
« Ceux qui me connaissent, savent que je n’ai jamais été dépressif, simplement là il m’est impossible de me battre vu les méthodes utilisées. Je n’ai donc plus qu’un seul choix accepter de vivre à genoux et humilier ou mourir debout. » Le 13 juin à 9h, Luc Montalbano envoie un mail testament à ses collègues, à ses amis et aux membres de la direction. Puis, il se suicide par balle dans son bureau de l’accueil de jour du foyer de vie Anaïs de La Membrolle-sur-Choisille, près de Tours.
Des salariés du foyer de vie Anaïs de La Membrolle-sur-Choisille ont tendu un bandeau noir à l’entrée de l’établissement pour marquer leur deuil. ©DR
À 54 ans après 32 ans de service, l’éducateur spécialisé, père de deux enfants, explique les raisons de son geste. Il dénonce des faits de harcèlement par sa hiérarchie. Le 21 février, il est convoqué par lettre recommandée à un entretien disciplinaire non suivi de sanction. Le 5 mai, après un entretien où il fait part d’une surcharge de travail, sa fiche de poste est modifiée sans aucune concertation. Ce qu’il jugeait être « le cœur de ses fonctions de coordination », la responsabilité de l’élaboration du planning d’activités, lui est retirée.
Ancien délégué syndical
Il rappelle également l’inaction des différentes instances auprès desquelles il a tiré la sonnette d’alarme : « J’ai à plusieurs reprises fait part que leurs actions me mettaient dans un état psychologique fébrile. » En pièces jointes, les copies des ses courriers et emails : recommandé à la direction générale de la Fondation Anaïs, échange d’emails et de courriers avec sa directrice et sa cheffe de service, la psychologue, le CHSCT, l’inspection du travail et la médecine du travail. Longtemps délégué syndical CFDT, il a l’habitude de monter des dossiers pour appuyer ses arguments et négocier.
Sa détresse avait-elle été finalement entendue ? En tous les cas, il avait rendez-vous avec la médecine du travail le13 juin à 13h. Trop tard. Son suicide par arme à feu sonne comme l’acte ultime d’un combattant, car son geste prémédité fait écho à celui d’un collègue. Le 14 mai 2020, de la même manière, Éric Chaveneau s’était donné la mort dans un bois près du foyer. La veille, le chef de service, délégué CFDT, avait été informé d’une mise à pied conservatoire. La caisse d’assurance maladie reconnait son décès comme un accident du travail avec une prise en charge dans le cadre de la législation relative aux risques professionnels.
Création d’un collectif
« Luc était touché par sa propre situation de harcèlement, mais il a aussi tenté de dénoncer le contexte qui a amené au premier suicide, raconte son ancien chef de service, devenu son ami. À l’époque, il s’était beaucoup démené pour qu’il soit reconnu comme un accident de travail, ce que l’administration a admis, mais la justice n’a pas retenu la faute grave et inexcusable de l’employeur. Il n’est pas impossible d’imaginer que son geste soit une volonté de réparation par rapport à cette injustice. »
Cette fois, l’entourage de Luc s’organise en collectif pour se battre afin de faire connaitre la vérité sur les souffrances au travail vécues au sein de la grosse machine Fondation Anaïs. Fondée en 1954 à Alençon pour accompagner les personnes en situation de handicap, l’association est devenue fondation en octobre 2019. Son siège se trouve désormais à Paris pour chapeauter dans 14 départements, 4000 places d’accueil, 100 établissements, des milliers de salariés.
Pour le collectif Justice pour Luc, « son acte suicidaire vient dénoncer des dysfonctionnements majeurs au sein de la fondation Anaïs, concernant le nouveau management. Les équipes de Tours, (SAVS, FH, FV) sont également victimes de ce management, pour preuves, de nombreux départs en inaptitude ainsi que nombreux arrêts maladie (…) À ce jour prédomine dans les équipes un sentiment d’insécurité face à une direction aux comportements et décisions quelque peu autoritoritaristes et imprévisibles ».
Cellule psychologique
« On alerte depuis des années sur les dysfonctionnements au sein de la Fondation, rapporte Christelle Enguehard, déléguée syndicale centrale CGT, qui travaille sur un autre site. Les risques psycho-sociaux y sont avérés depuis 2019 mais rien n’a été fait. Le directeur de la Fondation a été licencié pour faute en février, le DRH a démissionné et la nouvelle directrice a été mise à pied la veille du suicide. On est très inquiets sur l’avenir de la fondation. Il y a maintenant une mauvaise réputation et les salariés ne restent pas. »
Pour l’Union fédérale de l’action sociale CGT, qui « dénonce la souffrance des travailleurs du social et médico-social depuis de nombreuses années, sans que celle-ci ne soit prise en compte à la hauteur de la gravité », ce drame est le résultat d’une « perte de sens », d’une « déshumanisation du secteur », et d’une « logique budgétaire, cautionnées par les politiques sociales actuelles. »
L’accueil de jour du foyer de vie restera fermé jusqu’au 31 août. Si des professionnels de la structure témoignent être restés, après le drame, sans soutien de leur direction, la directrice de la communication assure que « la première mesure prise a été de mettre en place un soutien psychologique pour les salariés, les usagers et leurs familles. »
Un directeur délégué à la gestion de crise
Les directions générale, régionale et celle de l’établissement n’ont pas donné suite à la demande d’interview de Lien Social. La directrice de la communication précise qu’une enquête de la gendarmerie sur les circonstances qui entourent ce suicide est en cours, « en attendant je n’ai pas le droit de m’exprimer publiquement sur cet événement ». Elle précise cependant, « à l’heure actuelle on est sur la présomption d’innocence, il n’y a aucune preuve au-delà du déclaratif. On ne va pas accuser des professionnels sans qu’une enquête démontre s’il y a des personnes en cause dans cette histoire ».
En attendant, la Fondation Anais fait appel à un pompier : un directeur délégué à la gestion de crise. À peine nommé, le spécialiste de l’accompagnement des structures en souffrance, Patrick Soria a passé les journées de mardi et mercredi au foyer de vie de La Membrolle-sur- Choisille pour échanger avec les partenaires sociaux, les familles et les salariés dans le but de monter une cellule de crise.« Nous allons réfléchir ensemble aux mesures à prendre pour assurer la continuité du service. » Trois représentants des salariés auraient accepté d’y prendre part. Hier, les collègues de Luc Montalbano, eux, assistaient à ses obsèques et le feu de leur colère n’est pas près de s’éteindre.
Myriam Léon avec Mariette Kammerer
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