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► FORUM - Avons-nous toujours besoin du travail d’équipe ?
Par Christine Maurey Assistante de service social de formation dans le champ du handicap.
Probablement non. C’est beaucoup plus simple de travailler seul. Il faut juste que la charge ne soit pas trop lourde. C’est ce que je me dis quand je bosse dans mon jardin. Dès que c’est difficile, je dois faire appel à quelqu’un. C’est désagréable parfois de devoir demander de l’aide… Par contre, pratiquement tous les matins, en pénétrant dans mon lieu de travail, cette institution dédiée aux enfants en panne sur le plan sensoriel, je me dis que, seule, on n’est finalement pas grand-chose. On arrive à peu et surtout, on risque de se tromper dans la finalité et le sens qu’on donne à son travail. Est-ce que je dis cela en le pensant vraiment ou parce que j’arrive en fin de carrière ? Plus j’avance, moins je sais faire seule ou plutôt plus j’aime faire avec les autres ? Parce que je pense davantage au résultat pour l’enfant qu’à ma propre satisfaction ? Ou bien parce que je goûte davantage le savoir-faire de l’autre que le mien que je connais bien ? Je me fais confiance, donc je m’ouvre à l’autre et en même temps, quand je doute, l’équipe n’est-elle pas là pour me rassurer ? Il n’y a pas longtemps, un ancien élève âgé de 32 ans téléphone et demande à me parler. Ça fiche un coup de vieux ! « Maman dit toujours que tu nous as sauvés, que c’est grâce à toi qu’elle a pu s’en sortir, tu te rappelles que mon père était violent ? ». Sensible aux compliments, comme tout humain, j’avoue ressentir de la satisfaction à entendre le jeune me faire ce retour. Je me souviens bien de ce petit garçon que j’avais nommé Djamel dans mon bouquin.
Mais, j’ai surtout le souvenir de m’être affrontée à l’équipe et d’avoir travaillé un peu seule contre tous. Et au final, j’en garde un goût amer : le danger d’avancer en solo ne serait-il pas justement la tentation de la gratification personnelle ? C’est relativement facile de s’en contenter voire de la rechercher et on a besoin de cela aussi, non ? A l’inverse, cette année, il m’a été donné de mesurer la portée du travail en équipe. Une situation douloureuse et violente s’est posée à nous : la situation malheureusement pas rare d’un jeune garçon victime d’abus sexuels d’un « tonton ». Nous avons avancé ensemble, en équipe, à coup de discussions animées, de coups de gueules, d’écrits compliqués à faire, de confrontations avec d’autres services, de colères et/ou émotions nous submergeant parfois. Mais malgré cela ou grâce à cela, nous avons réussi à protéger un enfant et un prédateur est en prison. Il est relativement difficile de quantifier nos réussites, d’évaluer le positif dans nos métiers dits du « social ». Mais il y a une seule chose dont je suis certaine au bout de ces trente années de travail en équipe, c’est que toute cette mosaïque de fonctions, toute cette conjugaison de professionnels, toutes ces humanités rassemblées, permettent de créer un puzzle riche et puissant, surtout s’adaptant plus juste du projet d’accompagnement d’une personne. C’est bien la somme des idées et au final, les décisions communes prises qui amènent un contexte soignant lui permettant de se sentir bien et donc d’évoluer. Certes c’est difficile mais nécessaire. Je citerai Christine Vander Borght : « le travailler ensemble n’est pas un fait de nature : c’est une construction sociale, une création contextuelle et culturelle des rapports à autrui, une conquête sur le fratricide et la loi du plus fort ». J’ai l’habitude de dire : mettons-nous autour d’une table, on sera moins bête à plusieurs que seul. Mais si, mais si, je le pense vraiment.
A publié en 2016 « Chroniques d’une assistante sociale en milieu médico-social » (L’Harmattan)
La rubrique complète de Paroles de métiers est à retrouver dans le numéro 1264 de Lien Social
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