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► LE BILLET de Ludwig • Il faut sauver Willy

Cet été, la nature sauvage nous aura tenus en haleine tel un feuilleton addictif. Les émois autour de l’orque dans la seine puis du béluga, s’ils sont compréhensifs, auront tout de même été un peu déplacés. Certes ces histoires de cétacés perdus en eaux troubles sont tragiques et anormales, et leurs fins tout autant tristes. Les réseaux ont afflué de ces images heure par heure de tentatives de sauvetage au nom de l’humanité, tel des symboles de cet été bien particulier. Mais le focus sur ces histoires singulières masque la mort de milliers d’autres cétacés et animaux chaque année qui reste invisibles et déresponsabilisée. C’est indécent et le sentiment est qu’on amuse les gens. Ce n’est pas que le sort de ce béluga n’était pas important, mais il est complètement disproportionné. Chaque jour, nous sommes responsables de la mort de centaines de cétacés et autres animaux marins et terrestres.
Pendant ce temps, loin des émotions estivales, environ soixante-dix mineurs isolés dorment sous un pont d’Ivry-sur-Seine depuis près de deux mois dans des conditions difficiles. Sans solution de logement, ils attendent de pouvoir justifier de leur minorité au tribunal dans l’espoir de ne plus être à la rue. Et ce n’est qu’un exemple.
Vous imaginez un tel émoi de la population ? Non, bien sûr que non. C’est bien moins mignon qu’un béluga, et je n’oppose pas ici deux combats. Juste une mise en perspective. Alors imaginons deux secondes suivre les pérégrinations de ces mineurs perdus dans l’océan parisien, loin de leur écosystème, et de leurs sauveteurs désemparés organisant une cagnotte Ulule afin de récolter les fonds nécessaires à leur sauvetage. Pour des nuits à l’abri, pour des postes de travailleurs sociaux, pour manger et se doucher. Aller, à votre bon cœur messieurs dames, donnez ! On suivra bien sûr, caméra à l’épaule, les journées de Romine, se réveillant hirsute de sa nuit sous les cartons, se trainant péniblement jusqu’au pont Nelson Mandela pour retrouver le campement et de quoi se nourrir. On fera un gros plan sur Steve le camerounais, qui sourit mais dans ses yeux se ressent la détresse psychologique de la traversée et des mois précédents passés dans un camp en Italie. On écoutera la fatigue des professionnels devant tant de détresse et d’impuissance. Enfin, un dernier post filmera le soleil qui disparaît derrière les immeubles d’Ivry, donnant à la Seine des tons rosés.
Sur les réseaux sociaux, les vues se multiplient, les « Likes » affluent, le public se prend d’émotions pour ces gamins, les slogans abondent « il faut sauver les MNA (1) ! », « Des sous pour la protection de l’enfance ! », « Que fait le gouvernement ? Il laisse mourir nos enfants ! ». Les acteurs du cinéma sont là, les chanteurs et autres artistes font un concert gratuit…
Mais nous ne sommes pas chez Walt Disney et si vous avez suivi les histoires de l’orque et du béluga cet été, la fin s’est bien mal finie…
Au fait, elle en est où la cagnotte ?

(1) Mineur Non Accompagné