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📝 Tranche d’éduc’ ‱ Mes chers Ă©ducs’, je pars (1)

Il fait une entrĂ©e fracassante dans le bureau. Midi et demi, il ouvre la porte comme il n’en avait pas l’habitude, et fier, les Ă©paules relevĂ©es, le dos droit, la tĂȘte tenue, il dĂ©clame Ă  qui veut l’entendre : « Je pars, je fugue, ciao les Ă©ducs’ »
Malencontreusement pour lui, ou pour moi, j’étais seule Ă  avoir assistĂ© Ă  cet Ă©clat et Ă  entendre son annonce finalement pas si surprenante.
Depuis quelques jours dĂ©jĂ , il se faisait discret au foyer. D’ordinaire bout en train, il est toujours au cƓur de l’action et dĂ©sormais nous ne le voyons que peu, nous ne l’entendons pas, et lorsqu’il nous arrive de le croiser, il sourit. Comportement Ă©trange que nous expliquons par l’adolescence qui pointe grandement le bout de son nez. Treize ans et tout d’un grand.
Inexplicablement, des fruits disparaissaient, des bouteilles de lait, des biscuits, des pĂątes, des gels douche. Tous les stocks baissaient rendant perplexe l’équipe jusqu’à cette entrĂ©e en fanfare qui vint redonner du sens Ă  tous ces mystĂšres.
Face Ă  cette annonce tonitruante, je ne pus m’empĂȘcher de le questionner sur la rĂ©sonance qu’il attendait avec cet effet d’annonce dont je ne savais que faire. Assez dĂ©sarçonnĂ©, il me rĂ©pond simplement que c’est son affection pour nous qui l’a poussĂ© Ă  nous prĂ©venir. Il ne voulait pas nous inquiĂ©ter.
Une longue conversation en a dĂ©coulĂ©. Sans savoir qu’elle prendrait cette consistance, sans soupçonner la chute que cette histoire aurait, nous nous prĂȘtons au jeu de l’échange sans barriĂšre. Il pose son sac Ă  dos, que je devine lourd, et commence son rĂ©cit.
TrĂšs bien ficelĂ©, introduction, hypothĂšse, argumentaire, contre thĂ©orie, conclusion, mise en action. Je suis impressionnĂ©e par ce raisonnement parfaitement maĂźtrisĂ©, rĂ©flĂ©chi, comprĂ©hensible et presque convaincant. Il dĂ©guise cette fugue en voyage. Il ne connait ni le concept, ni le mot « initiatique », mais c’est tout comme. Il souhaite se retrouver avec lui-mĂȘme. Il ne va pas trĂšs bien ces temps-ci, ne laissant personne entrer dans son univers. Son constat est qu’il ne peut plus trouver en nous le soutien dont il a besoin. Aujourd’hui, il se sent prĂȘt Ă  voler de ses propres ailes et Ă  aller s’essayer, seul, dans « le vrai monde » comme il l’appelle. Il me parle de tous les dangers extĂ©rieurs, il anticipe toutes mes questions, toutes mes rĂ©actions, il m’explique Ă  quel point il serait dĂ©brouillard dans cette nouvelle vie. Il me dĂ©montre ses capacitĂ©s de survie par des exemples tous plus concrets les uns que les autres ; il liste les situations qui pourraient ĂȘtre difficiles Ă  vivre en exposant ses plans pour les surmonter ; il fait en sorte de me rassurer en ressortant toutes les phrases et conseils que nous avons pu lui donner en ces deux annĂ©es ensemble. Il est conscient de l’implication Ă©motionnelle et institutionnelle que nous avons avec les enfants que nous accompagnons, et en ce sens, il vient nous prĂ©venir. Par cette annonce, il pense nous dĂ©gager de toutes responsabilitĂ©s.
Ce qu’il ne dit pas c’est, oĂč il va ? Quel est son chemin ? Quel est son projet de route ? Cette question restera sans rĂ©ponse jusqu’à cette heure tardive oĂč il rentrera dans des circonstances fracassantes.


(Ă  suivre)