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► LE BILLET de Ludwig • L’enfant de la ligne D.
Je suis l’enfant des guerres, j’erre dans les métros. À la main, mon baluchon, quelques restes de mon enfance laissée là-bas au pays, quelques confettis de ma courte vie. Assis ici sur mon duvet donné, entre poubelles et panneaux publicitaires qui vantent le monde rêvé de consommation et de libertés, je vois passer les gens, pour moi étranges étrangers, tous inconnus s’en allant vers leur destination. Tous clandestins dans la poudrière.
Je suis l’enfant des guerres, j’erre dans les métros, avec ma sœur à la main qui n’y comprend rien, entre sanglots et crises d’angoisses, et ma mère qui pleure, larmes chaudes sur son visage. Son visage hier si doux, ses yeux maintenant vides d’espoir et pourtant là, debout, à nos côtés. Je ne sais pas ce qu’il lui est arrivé quand ces hommes l’ont enlevée, elle et mon père. Avec ma sœur, nous étions dans la pièce à côté. Mais j’ai entendu. Des cris, des coups, des râles, les hurlements de mon père. Des heures. Une éternité.
Je suis l’enfant des guerres, j’erre dans les métros. Je vois passer la vie de tous ces gens qui s’en vont droit vers le confort. Enfin, de ma hauteur, je vois surtout des paires de fesses qui parfois me percutent sans me voir. C’est ça, ma sensation ce soir. Que je suis invisible, que l’on ne me voie pas, que je n’existe pas, que je ne fais pas ou plus parti du monde. Que nous sommes fantômes, spectres de vos bombes et de la pluie qui tombe.
Je suis l’enfant des guerres, j’erre dans les métros. Dans ma tête, des images d’un carnage qui reviennent en flash. Le réveil en pleine nuit. Les valises dans le salon détruit. La panique de ma mère et le visage de mon père. Les bruits des balles. Les gens étendus dans la rue. Vous le voyez, parait-il, à la télé. Alors, pourquoi détournez-vous les regards à mon approche. Moi, je ne vous ai rien fait, je ne vais rien vous voler, je veux juste danser, rire, jouer, lire, dessiner, revoir Lili.
Je suis l’enfant des guerres, j’erre dans les métros. Mon père, ce héros, s’active, je le vois bien, à trouver où dormir cette nuit. Avec ses compatriotes, on lui a donné une adresse, pour un soir, car demain est incertain. Hier nous avons dormi dans ce recoin, entre les odeurs de pisse, de merde, de quelques vomis oubliés. On a failli se faire agresser. Je ne comprends pas. J’ai serré fort ma petite sœur. J’ai faim. Il parait que nous sommes trop nombreux, nous les exilés. Que l’on va vous prendre votre confort. Pourtant, ça brille tout autour de moi. Des lumières, des guirlandes, des sapins décorés, des cieux d’étoiles éphémères pour célébrer ce que l’on appelle la magie de Noël.
Je suis l’enfant des guerres, j’erre dans les métros. Mes paquets sont des cabas, un vieux duvet et mon doudou. Mes chaussures sont trop grandes. Dons. Mais elles sont chaudes. Je prendrais bien une douche. Mon père a trouvé où être hébergé pour cette nuit. S’agenouillant à notre hauteur, de toute sa grandeur, il nous explique. Il nous serre fort, ma sœur, maman et moi. Une famille va nous ouvrir sa porte. Peut-être passerons-nous la fin de l’année avec elle. Alors, je pourrais écrire ma liste de cadeaux au père Noël.
Je lui écrirais, « Cher père Noël, je n’ai pas beaucoup d’idées, je souhaiterais juste une chose s’il te plait. Voilà : je voudrais un monde de paix. Merci ».
À tous les exilés, migrants, réfugiés, déportés, sur les mers et sur les routes, aux quatre coins du globe.