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► LE BILLET de Vince • Agir pour le faire

« Des mains d’éduc pour serrer, empoigner, consoler, saluer, dessiner, encourager, étreindre, écrire, servir, apaiser, jouer, contenir, secouer, sécher des larmes, pousser, tirer, signifier, réparer, séparer, retenir, soutenir, porter, élever, relever, soigner, envelopper, applaudir, soulever... Et on ose me dire que je n’ai pas un métier manuel ? »


C’est en ces termes que j’aime définir mon métier quand revient la fameuse question « mais spécialisé en quoi ? ». Il me semble fondamental de donner sens à l’action éducative à travers l’agir alors que les politiques publiques se font de plus en plus suspicieuses sur notre utilité sociale. Au moment où je vous parle, des services de prévention spécialisée sont menacés de déconventionnements au prétexte de leur manque de lisibilité, des lits d’accueil d’urgence sont fermés alors que la précarité n’a de cesse d’augmenter, l’activité psychiatrique subit des coupes budgétaires arbitraires dans un déni absolu de l’augmentation massive des troubles psychiques… Ces réalités politiques ne sont que quelques exemples flagrants de l’état du secteur sur lequel Michel Chauvière* nous alerte pourtant depuis un certain nombre d’années en évoquant « une discrète chalandisation ». Désormais, cette marchandisation n’est même plus « discrète ». Elle s’affiche dans des pratiques décomplexées et arrogantes. Les organisations, qui n’ont plus que des questions de rationalisation, d’ajustements budgétaires, de prix de journées et d’équilibres économiques dans leur jargon technique, ont perdu le sens des valeurs. Elles n’ont que faire du toucher, du geste, du prendre le temps de faire. Les nouvelles mains du travail social sont des mains de comptables, insensibles à la peau et incapables d’essuyer des larmes. Il est grand temps de se retrousser les manches pour redevenir des acteurs du faire-lien. Le « care » d’aujourd’hui n’est devenu qu’un concept fourre-tout qui ne prend finalement soin que de portefeuilles. Une solution ? Il me semble que l’action sociale ne trouvera son salut que dans l’affirmation de technicités assumées où les mains sauront retrouver leurs forces. Il faudra sans doute oser dire non aux commandes d’entretiens minutés, comme aux logiques de rentabilité de l’acte. L’étreinte bienveillante d’un enfant en souffrance ne se chiffre pas. Elle se vit. Le temps de l’accompagnement se respire, dans une temporalité qui doit échapper à toute forme de contrainte technocratique. Il y a des indicateurs qualitatifs de l’action éducative, comme le sourire d’un SDF devant une main tendue, qui ne trouveront jamais de place dans des grilles d’évaluation. Et c’est tant mieux ! Le meilleur moyen de défendre le sens de nos métiers, c’est sans doute de continuer à les exercer dans le respect de nos intuitions éthiques, en s’affranchissant consciemment de tout ce qui vise à nous ligoter.
*Trop de gestion tue le social, essai sur une discrète chalandisation, Michel Chauvière, Edition La Découverte, collection Alternatives Sociales, 2007.